L’ambiance est électrique à l’Olympia . Alors que certains sont encore en train de trouver leur place, d’autres s’impatientent. La salle est presque pleine, on entend des encouragements lancés à la volée et pourtant, le spectacle n’a pas encore commencé.

Le quadrilatère trône au milieu de la fosse dans l’emblématique salle montréalaise. Autour du ring, des tables où des conversations animées ont lieu puis les gradins, où le public a les yeux rivés sur l’écran géant. Chacun offre ses pronostics et ses avis dans la bonne humeur qui caractérise ces moments tant attendus. Le père d’une combattante tremble presque, entre l’espoir de la gloire et la peur de voir un être cher être blessé.

Ziad Acar est un jeune homme en début de vingtaine au regard perçant et au sourire en coin. Bien bâti et aiguisé par des années d’entraînement, il a la gentillesse de ne pas se montrer menaçant. Il s’entraîne depuis des mois sans relâche pour préparer son prochain combat, six fois par semaine à la boxe thaïlandaise, 5 km de course presque tous les jours et du renforcement musculaire. Surtout bien dormir et bien manger, pour une récupération optimale. Pour lui, les arts martiaux sont une passion depuis très jeune, aussi une façon de se canaliser, de se calmer. Enfant, au Maroc il se battait souvent, il raconte avoir été un élève turbulent qui en plus était fier. Il ne voulait pas se laisser marcher sur les pieds. Alors il fallait se défendre. Les bagarres d’enfants dans la cour de récréation ou dans un square, il pourrait presque se les remémorer avec une certaine nostalgie.

Comme beaucoup , Ziad a découvert les arts martiaux à travers le karaté, mais il s’en est lassé au bout que quelques années. À douze ans il se rend compte que l’art martial nippon n’est pas assez réel, pas assez violent. En faisant des recherches il a découvert la boxe thaïlandaise, qui contrairement au karaté, autorise les coups de poings au visage, mais aussi les coups de coudes, de genoux ou de pieds.

 

Le Muay (boxe) Thai  est souvent référée  commet  l’art des huit membres (poings, jambes, genoux et coude) et n’a pas été réglementé jusqu’en  1930. C’est-à-dire, que lorsque se tenaient des combats dans les villages en Thaïlande, il n’y avait pas de limite de temps et la fin était dictée part la perte de conscience ou la reddition de l’un des combattants. Il y a dans la boxe thaï une inhérente nature de violence. Là où dans des arts martiaux comme l’aïkido l’esprit est de se défendre ou encore le tae-kwon-do, qui a été conçu comme un sport, le muay thaï sert avant tout à faire mal.

Dans des temps révolus, quand les combattant enveloppaient leur poings avec des simples cordes et non des gants de boxe comme aujourd’hui, existait une pratique qui dépasse l’entendement. Les combats se disputaient à même le sol et les guerriers  qui s’affrontaient trempaient leur cordes dans de la colle pour y fixer des bouts de verre.

Certaines sources assurent que l’art martial du Siam  serait héritier du kbach kun bora, une technique de combat Khmer. D’autres considèrent le Muay Thai comme une itération du wushu, un art martial chinois. En Thaïlande, la légende raconte qu’il y a plus de six cents ans, lorsque deux frères se disputaient le royaume suite à la mort de leur père et qu’aucune de leurs armées respectives ne pouvaient prendre le dessus sur l’autre, ils décidèrent d’organiser un duel. Les deux frères envoyèrent leur meilleur homme et suite à un longue bataille acharnée l’homme du frère Ki battit celui du frère Fang. Les techniques de l’homme du nouveau roi feraient école et auraient servi de base au Muay Thai moderne.

Aujourd’hui, cette forme de combat traditionnel est très ancré dans la culture thaïlandaise. Il est estimé qu’il y aurait plus d’un million de pratiquants et des dizaines de combats tous les jours. Certains thaïlandais  attribuent l’esprit combatif de leur peuple à la pratique du Muay Thai . Ils remercient leurs techniques de les avoir rendus forts et de leur avoir permis de repousser les envahisseur birmans, cambodgiens ou européens. Après tout la Thaïlande a pendant des siècles était l’un des seuls pays à ne pas avoir été envahi, jusqu’à la deuxième guerre mondiale, quand le Japon en a pris le contrôle partiel.

Jacques Zorayan a ouvert Thailong un peu par hasard, un  bon ami l’avait contacté une quinzaine  d’années de ça, parce que la salle de boxe dans laquelle celui-ci  travaillait avait fait faillite. Il avait des élèves mais nulle part où aller.  À cette époque Jacques se levait tous les matins pour aller à l’usine métallurgique, puis après sa journée de travail, il partait s’entraîner. Pour lui, le but premier d’avoir une salle n’était pas d’en faire un métier, mais plutôt d’avoir un endroit où s’entraîner quand il le voulait. Seulement, d’année en année de plus en plus de gens sont venus et l’intérêt à grandi. Jacques est avant tout un combattant, il s’est entraîné sans relâche pendant des années, ce qui lui a valu de nombreuses victoire et le respect de se  pairs. Humble, il confie ne pas se sentir méritant d’être entraîneur, mais comme il a  fait toute sa vie, il persévère pour s’améliorer.

Au bout de cinq ans Jacques a emménagé  sa salle au 215 rue Jean Talon ouest . C’est un grand espace ouvert au deuxième étage d’un immeuble industriel avec des grandes fenêtres à carreaux. Il y a un ring dans un coin, tout le sol est tapissé et de nombreux sacs de frappes pendent des poutres en acier. Dans le secteur est de la salle il y une rack  pour pousser de la fonte et faire des tractions, aussi une cage d’ascenseur vide à demie clôturée. Les quelques colonnes sont protégées d’une mousse épaisse qui peuvent, quand la salle est trop remplie servir de sac de frappe. La salle est complétée par un bordel maîtrisé, par l’odeur âcre de la sueur et le son de l’effort des aspirants combattants. C’est un petit bout de paradis pour un amateur de sport de combats, une salle sortie d’une scène de film. Visiblement, Jacques en est fier.

Ziad est arrivé à Thailong à 12 ans, en gamin un peu intimidé mais de qui on a rapidement reconnu les capacités. Il a tout de suite commencé à s’entraîner avec les adultes et au bout de quatre ans il était mûr pour son premier combat, seulement  la pandémie est arrivée et ses parents, qui n’approuvent pas tout à fait de  son choix, le considéraient trop jeune pour monter dans  un ring. Il s’est montré patient et cela a porté ses  fruits. Il dit sept victoires zéro défaites . En réalité son dernier combat, en Ontario, s’est soldé par une défaite. Mais tous ceux de Thailong qui ont vu le combat s’accordent à dire que les juges se sont montrés indignes et injustes.

Son prochain combat, dans quelques jours, il compte bien le gagner. Pas besoin de faire du sac ou de sortir courir, désormais il visualise encore et encore tout ce qu’il peut se passer, comment parer les coups, les esquiver, comment faire le plus mal possible à l’autre. Il dit qu’il faut toujours imaginer la victoire, même dans les situations les plus extrêmes. Surmonter sa peur, écouter son ego, se convaincre qu’on n’a pas mal et instiguer la crainte dans les yeux de son adversaire.

Bien sûr il y a du stress, mais pas autant qu’avant. Lors de sont  premier combat Ziad avoue n’avoir agi que par instinct, avoir réagi presque. Après sept combats, il est plus calme, il sait à quoi s’attendre. Il n’a plus peur de ne pas être capable d’envoyer des coups pour pour faire tanguer l’autre. Désormais, il sait trouver son agressivité, se transformer le temps de trois rounds pour avoir une victoire définitive.

 

À la pesée, la veille du combat, tout le monde est calme. Les combattant.es attendent patiemment de se faire appeler pour signer les différents documents, puis iels montent un.e à un.e sur la balance. Il n’y a pas trop d’animosité dans l’air mais iels se dévisagent attentivement quand même. Les combattant.es ne se sont pas encore transformé.es, pas encore violent.es. Iels échangent en souriant avec leur entraîneurs ou leurs parents.

Tout le monde est calme sauf Phillipe Allaire, patron de la salle Silvertooth et de la boite de promotion du même nom. Il devient aujourd’hui l’organisateur du plus grand événement de kickboxing K1  de l’histoire du Québec. Logique qu’il parle avec tout le monde, qu’il vérifie chaque détail, c’est aussi sa réputation qui est en jeu. Phillipe est un type rapide qui n’a pas le temps pour les détours, il règle les problèmes de face quand ils arrivent et sans attendre. Lui aussi est déçu du fait que ce soit un gala de K1 et non de Muay Thai. D’autant plus que Phillipe à vécu en Thaïlande, il à combattu là bas. Il s’est imbibé de cette culture sur place et grâce a son maître, Peter Sisomphou, légende du Muay Thai québécois. C’est vrai que dans le K1, il manque le côté rituel et la musique qui caractérisent le Muay Thai. Il dit que c’est dommage, parce que ça crée une ambiance particulière, ce son strident, ces salutations avant de ses  battre. En soit, le K1, qui a été inventé par un karatéka d’Okinawa  après deux défaites face à un combattant thaïlandais, ressemble beaucoup à la boxe thaï, mais c’est une version édulcorée. Pas de coups de coudes, un seul coup lorsqu’on agrippe son adversaire, pas de coups de pieds de face sur les articulations etc… Le K1 est un  itération qui rend plus acceptable la violence crue du Muay Thai.

Le problème, pour Phillipe et tous les passionnés de boxe thaï, est que depuis une dizaine d’années, la pratique de Muay Thai amateure est interdite au Québec. Cette interdiction découle d’un changement de l de code criminel fédéral, qui proscrit les combats concertés des sports non olympiques. En Ontario la loi a changé depuis des années, puisqu’il suffit de créer l’ exception régionale pour certains sports. Dans le cas du Karaté,  ça à été fait très rapidement, lorsque le sport s’est retrouvé en dehors de la sélection officielle du comité olympique pour les jeux de Paris 2024. Il n’a fallu que quelques mois à la ministre de sports Mme Charest pour signer le décret. Dans le cas du Jiu-Jitsu, qui avait été interdit, faute de représentation olympique, ça a pris quelques années. C’est grâce à l’entêtement de Johnny Zemouli et de Steven Maclure  que le ministère à cédé au bout de 6 ans. Pour le Muay Thai ce n’est pas gagné, Phillipe assure qu’un avocat et les gens de la fédération sont sur le coup. Lui il n’a pas le temps de faire de la politique, il veut developper le sport. Le cabinet de la ministre  dit être sur le dossier, conscients  de l’intérêt croissant des québécois  pour les sports de combats.

L’ambiance est électrique à l’Olympia, je m’assoie au troisième rang, encore à distance d’une giclée, comme dit l’ami.  Le présentateur monte sur le ring et prend un ton à la Bruce Buffer  qui ne marche qu’à moitié, parce qu’il doit annoncer en français et en anglais.

Le premier combat rentre dans le lard  sans sommation. Les échanges vont vite et démontrent leurs techniques affutées, Nic Leboeuf remporte les trois ronds. Même si Florian Bour a fait de son mieux, la décision est unanime et les deux jeunes hommes sortent du ring la tête haute. Le deuxième combat, le seul féminin de la soirée, donne le ton d’un gala sanglant. À ma gauche j’entame la conversation avec le père d’Ariane Gauthier et sa femme. Bien sûr que ce n’est pas facile de voir sa fille monter dans le ring, mais bon si c’est ce qu’elle aime, il ne me reste qu’à animer  et espérer le meilleur. Pourtant c’est le pire qui se déroule sous ses yeux. Zayin Christin est plus rapide, plus violente et décidée. Elle ne se fatigue pas et n’hésite pas à à remettre le couvert sans laisser une seconde de répit à Ariane. On a beau crier rien n’y fait, elle fini le visage  presque défiguré. Son père partira peu après.

Ziad entre en premier sur le ring, au son de Booba qui rempli l’Olympia avec sa musique qui donne envie de casser de  gueules. Benito Pissarelli est mastoc, comme Ziad, c’est 178 livres de muscles forgés à coups de tibias. Le premier round c’est comme revoir un vieil ami, un peu timide au début, mais qui s’affirme avant la fin des deux premières minutes. Chaque coup porté est rendu, ça fuse et ça ne fléchit pas. Benito punit le flanc droit de Ziad qui n’accorde aucune importance à la douleur. Sa détermination est imperturbable, il travaille ses combinaisons et ça rentre. Esquive puis crochet de droit, le public l’acclame. Les coups sont lourds, on à l’impression de les entendre atteindre leur cible. Les deux guerriers se battent sans quartiers, alors que Benito fait tomber Ziad d’un coup bien placé sur la jambe avant, celui-ci n’attendra pas longtemps pour lui rendre la pareille. Dans le coin de Ziad, il y a Jacques et le coach Krim. Ils lui donnent des conseils, une vision globale et le regardent partir vers le troisième round. Même si leur souffle devient plus rauque l’intensité ne diminue pas. Les high et les low kicks  s’enchaînent. Dans le dernière minute la garde de Pissarelli laisse de plus en plus passer les missiles que lui envoie Ziad. Mais même sonné il reste debout. ils  quittent le ring devant une foule rassasiée et en extase. Deux mains

se lèvent à la fin du dernier assaut, une égalité qui ne plaît pas à tous. La parole des juges reste finale.

Si on devait me demander mon avis, j’aurais accordé la victoire à Ziad. Forcément, je le connais, on se croise souvent à la salle. Mais honnêtement, il a mis davantage de coups significatifs à son adversaire et lui a infligé plus de dommages.

Ziad et Jacques sont déçus de la décision. Ziad a visionné le combat des dizaines des fois, pour revoir ses erreurs et compter les points. Il devait y avoir un match retour  en janvier, mais lors d’un smoker, un petit tournoi amical, il s’est disloqué l’épaule. Il faudra attendre plusieurs mois avant de pouvoir entrer à nouveau dans un ring .

Phillipe, lui, a passé les jours d’après sur un nuage. Ses combats à l’Olympia sont un rêve devenus réalité. Bien sûr qu’il y a eu des imprévus et, oui, la police est passée. C’est normal : les clips passent toujours dans ce genre d’évènements. Un garde de sécurité explique que les combats, c’est comme un salon de l’emploi où se rencontrent mafieux et aspirants hommes de main. Rien ne ferait changer d’avis Phillipe : tout s’est très bien passé. Les gue  rrier.es se sont bien battus, iels sont allé.es de l’avant et ont offert un gala qui a surpassé les attentes  du public.

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Échos Montréal

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