La ministre responsable de la solidarité sociale Chantal Rouleau revient sur sa réforme du régime d’assistance sociale, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. La loi 71 prévoit d’améliorer l’accompagnement des personnes vers l’emploi et de simplifier les démarches administratives. Les prestations sociales n’ont toutefois pas été augmentées, ce que critiquent des membres d’organismes communautaires et des chercheurs.

Ministre Chantal Rouleau © Facebook
Pourquoi le régime d’assistance sociale avait-il besoin d’être réformé?
Il fallait le moderniser parce que ça n’avait pas été fait depuis 20 ans. C’est un régime que je considérais très punitif. «Si tu fais ça, je te coupe [l’aide sociale]. Si tu fais pas ça, je te coupe.» Alors j’ai fait une tournée à travers toutes les régions du Québec pour aller consulter les gens, les organismes, les personnes en situation de précarité, toutes sortes de mondes, pour bâtir le plan de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Et le mot que j’ai entendu le plus souvent, c’est «accompagnement». Le besoin d’accompagner les gens, pour les réinsérer dans la société. Parce que les prestataires d’aide sociale sont parfois très éloignés du marché du travail. Alors il faut mieux les accompagner vers le marché du travail. On a ainsi mis en place de nouvelles mesures qui vont bientôt se déployer, et on a pu conclure la loi 71, qui a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale […].
Quels sont les objectifs de cette réforme?
Essentiellement, on vise un meilleur accompagnement. Ça s’inscrit dans le plan de lutte à la pauvreté, aussi. On voulait également simplifier le régime, simplifier l’accès, simplifier la façon de faire. Alors on a fusionné des programmes, ce qui réduit la bureaucratie. Donc d’une part, mieux accompagner, et de l’autre, simplifier le régime. Ce sont les deux grands objectifs.

Ministre Chantal Rouleau, à droite © Facebook
Qui sont les bénéficiaires de l’aide sociale aujourd’hui?
Il y a 20 ans, c’était 10 à 12% de la population québécoise qui était prestataire de l’aide sociale. Aujourd’hui, c’est moins de 5%. Et ce sont des personnes qui sont plus éloignées du marché du travail et qui rencontrent certains enjeux d’intégration. Par exemple, 42% des prestataires d’aide sociale n’ont pas de diplôme d’études secondaires. Et ça, c’est un frein pour trouver un emploi […].
Vous dites que «ce qui permet de sortir de la pauvreté, c’est l’emploi». Considérez-vous que c’est sur ce levier qu’il faut miser en priorité pour lutter contre la précarité?
C’est un des leviers importants, mais il y en a d’autres aussi. Le régime s’inscrit dans le plan de lutte contre la pauvreté, qui représente 4,3 milliards de dollars. Ça inclut des actions très concrètes en logement par exemple. On sait que le logement a une part très importante de la précarité à l’heure actuelle […]. On agit aussi sur l’itinérance […]. Et pour les personnes prestataires de l’aide sociale, on met en place un plan personnalisé d’accompagnement vers l’emploi.
La réforme prend-elle mieux en compte les diverses contraintes d’accès à l’emploi que peuvent rencontrer les personnes prestataires?
Ce n’est pas seulement la capacité de la personne à travailler qui est prise en compte, mais également son état : sa santé physique, mentale, et des enjeux psychosociaux. On voit que la santé mentale prend de plus en plus de place dans notre société. Des gens peuvent avoir des enjeux de consommation, etc. L’objectif du régime c’est de les accompagner, de les aider, et de les diriger vers les bonnes ressources […]. Au niveau des contraintes à l’emploi, on met également en place l’élargissement de l’évaluation, qui est faite non seulement par le médecin ou l’infirmière spécialisée, mais on va aussi intégrer des professionnels des services sociaux, par exemple des travailleurs sociaux, des psychologues, qui pourront émettre les diagnostics […].
Au-delà de l’emploi, vous voulez également accompagner les personnes vers la participation sociale. Pourquoi élargir la nature des activités prises en compte?
On a ajouté le volet de participation sociale, qui est considéré comme du bénévolat, et qui n’était pas permis avant. On amène la personne à participer socialement à travers un organisme, et à briser l’isolement. Ça fait en sorte que la personne ne reste pas seule chez elle dans ses angoisses […]. Ça permet également une meilleure pré-employabilité. Les gens peuvent être tellement éloignés qu’ils ne savent plus comment communiquer socialement. Ils ne savent plus comment interagir. Le bénévolat leur permet de faire ça.
Vous souhaitez ainsi amener davantage les personnes prestataires vers l’emploi, pour que l’aide sociale ne soit qu’un «dernier recours». Considérez-vous qu’elle ne l’était pas suffisamment avant?
Un dernier recours, ça veut dire qu’il y a d’autres recours avant d’arriver à l’aide sociale. L’aide de dernier recours, c’est parce qu’on rencontre des gens qui avaient une vie plutôt normale, et puis il s’est passé des choses : un enjeu de santé mentale, une dépression, un divorce, une perte d’emploi, des violences… Et puis là, il y a eu un glissement. Mais il y a différents recours avant d’arriver à l’aide sociale. C’est pour ça qu’on dit l’aide de dernier recours. Dans ces situations, on veut aider le plus possible ces personnes à aller vers l’emploi, donc on a bonifié les programmes d’accès à l’emploi.
Vous n’augmentez toutefois pas les montants de l’aide sociale, qui demeure de 829 $ par mois pour un adulte sans contraintes à l’emploi. Pourquoi ce choix, qui a été critiqué par plusieurs organismes et chercheurs [dans une lettre d’opinion publiée dans le Journal de Montréal en décembre dernier]?
Oui, j’ai entendu certaines critiques, mais vraiment, notre décision, notre choix, c’est d’accompagner les personnes vers l’emploi. Parce que c’est par l’emploi qu’on améliore sa condition économique et sociale. C’est par l’emploi qu’on retrouve toutes les dignités. Ce qu’on met en place aussi, c’est le versement individuel des prestations dans un couple. Ce qui va aider énormément de femmes. Parce que jusqu’à maintenant, il n’y avait qu’une personne du couple qui recevait la prestation. Et souvent, c’était monsieur qui recevait, parfois au détriment de madame.
Certaines personnes ne sont pas en mesure de retourner à l’emploi, pour des raisons de santé mentale, d’extrême pauvreté ou autre. Est-ce que de Ne pas augmenter l’aide sociale ne placerait pas davantage les personnes sans emploi dans un cycle de pauvreté?
Vraiment, le choix, ce n’est pas d’augmenter les prestations. Parce qu’il y a la prestation de base, mais il y a aussi le crédit d’impôt à la solidarité. Il y a des programmes d’accès aux logis. Par exemple, le programme de soutien au logement, qui permet à une personne de payer 25% de son revenu pour le loyer. Il y a toutes sortes de programmes. Sans oublier toute notre implication dans la stratégie de sécurité alimentaire. On veut évidemment que personne ne manque de rien. Mais on est parmi les pays avec le meilleur filet social. Certainement le meilleur au Canada. Certainement l’un des meilleurs en Amérique. Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas continuer à travailler, mais on fait en sorte de ne laisser personne derrière […].
Certaines personnes itinérantes ont le droit de recevoir l’aide sociale, mais ne sont pas en mesure de la réclamer en raison de démarches administratives inadaptées. Prenez-vous en compte cette réalité?
Oui. J’ai octroyé un budget [en avril dernier] de 10 millions de dollars pour des organismes communautaires qui agissent directement auprès de personnes qui sont à risque d’itinérance ou en situation d’itinérance. On travaille avec les Centraides du Québec pour octroyer l’argent […]. La chose que je leur demande dans ce financement-là, c’est de voir si les personnes avec qui ils travaillent peuvent avoir accès au régime d’assistance sociale, parce qu’il y a des personnes qui n’ont aucun revenu. Dans les bureaux de Services Québec, nos employés sont formés pour recevoir des gens en situation d’itinérance, qui n’ont pas nécessairement de papiers sur eux. Alors, on simplifie les choses pour que ces personnes puissent avoir accès plus facilement à l’aide de dernier recours […].
Cette aide de 10M$ aux organismes communautaires, est-elle une stratégie qui s’inscrit sur le long terme ou davantage une mesure d’urgence?
C’est une mesure d’urgence dans une situation d’urgence. C’est de l’argent, effectivement, qui a été débloqué rapidement pour pour aider les organismes à amener les personnes vers l’aide de dernier recours. Mais on fait aussi du travail à long terme avec la modernisation du régime d’assistance sociale et le plan de lutte contre la pauvreté.