Après la tempête déclenchée par les dénonciations d’agressions sexuelles sur plus de 80 femmes dans l’affaire contre le producteur Harvey Weinstein, le raz-de-marée fut mondial et les langues se sont déliées pour mettre à jour la noirceur et la saleté humaine non seulement dans ce merveilleux monde du show-business, mais aussi dans toutes les strates administratives de la société où l’on est confronté à la corruption des gens de pouvoir qui, en position d’autorité, se croient dès lors tout permis.

Cette illustration sordide des bassesses de l’âme humaine vient de trouver échos ici au Québec, secouant la province au complet avec les affaires retentissantes concernant possiblement les deux personnalités les plus influentes de la télévision québécoise, soit la vedette de télévision Éric Salvail, et le producteur de Juste pour Rire Gilbert Rozon.

Grâce au vent du changement soufflé par l’affaire Weinstein qui a embrasé les médias sociaux de la planète, et ainsi libéré du carcan de la honte et de la peur dont souffrent malheureusement trop souvent les victimes d’abus sexuels en tous genres, de nombreuses personnes ont pu ouvrir le bal et dénoncer avec fracas les inconduites sexuelles et comportements malsains et inacceptables d’Éric Salvail. Monsieur Salvail, qui est aussi producteur d’une dizaine d’émissions de télévision, et possède des investissements dans le secteur technologique et dans l’immobilier en Floride, a eu tôt fait de réagir, disant vouloir « prendre une pause de ses affaires », pour faire le point, pour chasser ses démons, allant jusqu’à comparer son cas avec la maladie compulsive dont souffrent les alcooliques. Comme si lui-même était un malade demandant à guérir, une victime de déviances involontaires plutôt qu’un pervers narcissique à l’égo si surdimensionné que, en position d’autorité et de pouvoir, il s’est pris pour un genre de dieu ayant le droit de regard sur tous, le droit de faire n’importe quoi sans conséquence.

Dans la même mouvance, les accusations sont encore plus graves concernant Gilbert Rozon, lui qui a créé l’empire du divertissement Juste pour Rire, qui faisait office comme vice-président à la Chambre de Commerce du Montréal métropolitain; qui siégeait respectivement en tant que dragon et en tant que juge aux émissions Les dragons, au Québec, et La France a un incroyable talent, dans le pays de l’Hexagone; et qui était Commissaire de la Société des célébrations du 375ième anniversaire de Montréal, dont le budget s’élève à 125 millions de dollars. Dans son cas, on parle carrément de viols et même d’agressions sexuelles sur plus d’une dizaine de femmes, dont certaines sur mineures.

Ce qui est d’autant plus choquant dans son cas, c’est qu’il avait déjà reconnu sa culpabilité en 1998, pour une histoire similaire d’agression sexuelle sur une jeune femme de 19 ans. Il avait à l’époque profité de l’aberrante bienveillance clémente du juge, qui lui avait pratiquement donné l’absolution sous prétexte que comme le travail de monsieur Rozon l’amenait à voyager souvent à l’étranger, une sentence criminelle aurait fortement nui à son travail. Comme beaucoup trop souvent, ce fut une piètre décision judiciaire prise au détriment de la victime.

S’il est reconnu coupable, espérons que cette fois les conséquences pour ce présumé prédateur sexuel soient à la mesure de la gravité de ces odieux crimes commis. D’autant plus qu’aux nombreuses poursuites déjà entreprises contre l’ancien grand manitou de Juste pour Rire, s’est ajoutée la retentissante plainte de la productrice Julie Snyder, pour une agression sexuelle qui se serait passée il y a une vingtaine d’années en France, tout en ayant continué d’être en affaires avec lui par la suite.

Et c’est justement ce qui est particulièrement déplorable dans cette culture du viol perpétrée par des personnages en position d’autorité : le pouvoir de l’argent et les impératifs de carrière des victimes ont contribué à protéger ces prédateurs, alors que même dans les poursuites avérées, des clauses de confidentialité et les règlements hors cour permettent aux agresseurs de continuer à sévir en toute impunité. On en a de bons exemples avec notamment l’histoire de l’actrice Rose McGowen en 1997, comme l’indique Ariela Gross, professeure de droit à l’Université USC de Californie, en rappelant que l’actrice a accepté l’abandon de poursuite et de garder le silence sur cette affaire, en retour de compensations monétaires avoisinant les 100 000 $.

Ces ententes ont pour effet pervers d’entériner les agissements de ces criminels, permettant de continuer à sévir sur d’autres victimes.

On ne peut donc que saluer d’autant plus le courage de toutes celles qui ont accepté de témoigner, de briser cette omerta. Le viol ne peut pas être banalisé pour des raisons d’argent ou de carrière, qui permettraient à ces malades d’échapper au sort qui doit être le leur, la prison ferme, où ils auront tout loisir de réfléchir en compagnie d’autres criminels sur leurs comportements primitifs.

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Vincent Di Candido

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