Les auditions d’opinions concernant l’aménagement du secteur Bridge-Bonaventure ont débuté le 13 juin dernier alors que deux visions s’affrontent pour l’avenir du territoire. 

© neufarchitectes.com

Le Consortium Vision Bridge-Bonaventure qui regroupe Broccolini, Groupe Mach, Groupe Petra, Groupe Devimco, COPRIM, Fahey & Associés, Lemay, Provencher Roy, NEUF Architectes et ACDF Architecture a récemment annoncé sa nouvelle vision pour l’aménagement du secteur. L’organisation désire donc construire 9500 logements, 2000 de plus que leurs plans précédents grâce à une construction dense et en hauteur. Aussi, le consortium «réclame un processus d’approbation rapide» et recommande à la Ville d’augmenter la hauteur limite de la pointe de certaines tours à 120 mètres.

Le Comité du Regroupement information logement (RIL) de Pointes Saint-Charles et Action-Gardien, un groupe communautaire du même quartier, militent pour du logement social et des constructions à l’échelle humaine. Critique de «la densité intense à la verticale» proposé par le consortium, Karine Triollet d’Action-Gardien préférerait limiter la hauteur des bâtiments à 40 mètres soit 12 étages. Elle soutient aussi que les terrains dans le secteur Bridge qui appartiennent à la Société immobilière du Canada et à Loto-Québec doivent rester entre les mains du public afin de créer 2000 logements sociaux et communautaires. Pour ce qui concerne les terrains privés du secteur, les groupes communautaires revendiquent que la Ville devrait imposer un 40% de logements sociaux. 

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Bien que le consortium justifie sa vision et son désir d’accélérer le processus d’approbation en citant les besoins en logement, «de construire des petits condos luxueux, ce n’est pas ça qui va nous sortir de la crise» argue Francis Dolan du RIL. D’après lui, la vision des entreprises suit le modèle que certains surnomment «grandes tours, petit condo» comme ce qui a été fait dans Griffintown. 

L’organisateur communautaire du RIL rappelle que le groupe Devimco, un membre important au sein du Consortium Vision Bridge-Bonaventure, a eu une place d’envergure dans l’élaboration de Griffintown. L’entreprise y a construit 12 000 logements, des boutiques, des immeubles de bureaux et un hôtel qui, ensemble, représentent plus de 2 milliards de dollars. 

Il explique que le type de logement qui a été récemment construit «à un jet de pierre de Bridge-Bonaventure » ne permet pas aux familles de rester à Montréal. M. Dolan souligne les résultats d’une étude de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL): «le tiers des logements produits de ce quartier servent à la spéculation immobilière.» Ils sont donc utilisés pour la location à court terme, comme résidence secondaire par des propriétaires qui vivent à l’extérieur de Montréal où encore certains sont vacants et attendent de se faire revendre. 

La densification «intelligente» 

Vianney Bélanger, le président de COPRIM et représentant du Consortium Vision Bridge-Bonaventure, pense que pour composer avec la crise du logement, l’urgence climatique et avoir la densité nécessaire pour avoir un nouveau quartier 15 minutes, il faut avoir «un plan de développement intelligent et oui on arrive à une certaine hauteur».  

Il pense même que la conception de quartiers comme Pointe-Saint-Charles ou le Plateau est chose du passé. Madame Triolet affirme reconnaître l’importance de la densification, «on serait opposé au projet si la Ville voulait faire des maisons unifamiliales» cependant elle remet en question la notion que la densification intensive sur la verticale, soit si intelligente. 

En plus de mentionner les mêmes points que M. Dolan à propos de la spéculation dans Griffintown et le loyer souvent trop cher pour une famille de Pointe-Saint-Charles, elle pointe aussi vers une autre étude produite par la SCHL qui démontre que, durant la pandémie, c’est à Griffintown qu’on a pu observer la plus grande migration vers la banlieue. 

La densification «intelligente» que prescrit M. Bélanger aurait donc poussé des Montréalais à vivre en banlieue où presque tout le monde dépendant de sa voiture pour se déplacer. D’après M. Bélanger, il serait possible d’offrir un environnement pour les familles dans les grandes tours de condos avec de «l’éclairage naturel, de la vue et des espaces communs où les enfants peuvent jouer de façon sécuritaire». 

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La Ville de Montréal a établi, dans son plan directeur, que la hauteur maximale pour un bâtiment serait de 65 mètres, ce que M. Dolan estime comme une position mitoyenne entre la sienne et celle du consortium. Cependant, il considère que vouloir appliquer le Règlement pour une métropole mixte (RMM) qui viserait 20% de logement social sur l’ensemble du secteur, incluant sur les terrains publics, «c’est complètement irresponsable de la part de la Ville». 

Pour Mme Triollet, c’est comme concéder d’emblée 80 % des terrains publics. Par contre, elle reconnaît que la Ville est dans une position difficile, non seulement elle manque de moyens, elle dépend des taxes foncières pour se financer et manque de support des autres paliers de gouvernement. La CAQ a récemment mis fin au programme Accèslogis et la majorité des 115 000 logements créés par les Libéraux aux fédérales dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement seraient trop chers pour les personnes qui ont des besoins impérieux de logements d’après le Conseil national sur le logement. 

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Malgré leurs différends, les représentants du communautaire et du Consortium peuvent trouver un terrain d’entente : RMM de la Ville de Montréal ne livre pas la marchandise. Monsieur Dolan n’a pas confiance envers le règlement qui est en vigueur depuis plus de 2 ans. D’après lui, ce qu’on voit «c’est que très peu de logements sociaux ont été développés et beaucoup de petites pénalités ont été payées de la part des promoteurs pour éviter d’en construire». 

De son côté, M. Bélanger affirme que même lorsque le 20% de logement social est appliqué ce n’est pas le promoteur, c’est le 80% de personnes qui achètent dans l’immeuble qui le paye. «J’additionne tous mes coûts, je mets ma marge de profit pour mon projet X, après je varie selon 10, 15, 20% ; le chiffre que vous voulez, après on divise par le nombre d’unités, le nombre de pieds carrés, et ça fait le prix pour l’unité», explique le président de COPRIM.

La co-coordinatrice d’Action Gardien rappelle que la définition d’abordable est assez flexible. Si le CNL considère qu’un logement est abordable lorsqu’il se fait louer pour 750$ ou moins, une enquête du Journal de Montréal a trouvé un logement de 875 pieds carrés du quartier Griffintown à louer pour 2900$ par les acheteurs après qu’ils aient reçu 15 000$ en subvention de la Ville de Montréal qui définissait le logement comme abordable.

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Alexis Bataillé

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