Le groupe communautaire L’Itinéraire vend son magazine bimensuel dans les rues de Montréal depuis 1994. Agissant depuis le quartier Hochelaga-Maisonneuve, Reflet de société distribue sa revue mensuelle partout au Québec, accessible par abonnement. Ces deux publications s’inscrivent dans des projets sociaux forts et inspirants. Rencontre avec ces deux institutions de la ville chère au regretté Léonard Cohen. 

L’Itinéraire: Plus qu’un magazine

Luc Desjardins © Courtoisie

«Au départ ce sont des gens de l’Université du Québec à Montréal qui ont décidé de donner la parole aux sans voix», indique Luc Desjardins, directeur général et éditeur de L’Itinéraire depuis 2016. Ce dernier nous a reçus chaleureusement dans son bureau au premier étage du 2103 de la rue Sainte-Catherine Est. Il peut s’appuyer sur 24 employés syndiqués et des bénévoles.

L’association agit depuis 1992 dans le domaine de la réinsertion sociale et de la réemployabilité, avec pour slogan «la rue n’est pas un cul-de-sac»… Elle est l’une des rares à intervenir en deuxième ligne dans la lutte contre l’itinérance à Montréal, derrière les refuges. «Pour une personne qui a déjà vécu l’itinérance ou la précarité et qui veut se prendre en main, nous sommes là». Son magazine en est le projet phare.

Une publication connue des Montréalais

Des camelots, au nombre de 150, sont formés pour vendre dans la rue L’Itinéraire, tiré à 10 000 exemplaires deux fois par mois. Ils perçoivent 1,5$ par numéro écoulé. Environ 75% ont plus de 45 ans alors que 35% sont des femmes. Plus de la moitié des articles sont réalisés par des camelots. Ils sont rémunérés pour cela et assistés par des bénévoles dont quatre journalistes. La Presse offre chaque année quatre stages d’une semaine.

Des camelots-journalistes ont même été interviewer, en 2018 à Ottawa, le Premier Ministre du Canada Justin Trudeau. Abordant les enjeux autochtones et la légalisation du cannabis, le reportage avait été traduit et diffusé dans 40 pays. 2023 annonce le retour d’une édition «100% camelots» et en septembre de l’action «camelot d’un jour », jumelant une personnalité avec un camelot.

Camelot pendant 14 ans et ancien itinérant, Daniel Prince est aujourd’hui le responsable de la distribution du journal sur les 250 points de vente. Il est employé et forme les nouveaux. D’autres anciens camelots ont retrouvé un emploi comme chauffeur-livreur, gérant d’une pharmacie ou journaliste.

«J’ai croisé il y a six ans un entrepreneur prospère qui avait vécu le suicide de son fils, celui de son épouse et un accident de la route. Tout s’est écroulé et il est tombé dans l’itinérance. Après avoir été un excellent camelot, nous l’avions perdu de vue. Il est revenu un jour à la porte pour me remercier, m’informant qu’il fabriquait maintenant des jouets au salaire minimum et était heureux», se souvient très ému M. Desjardins.

Un endroit pour les camelots

Situé au rez-de-chaussée, le Café Chez Monsieur Paul est un paisible lieu de vie pour les camelots, équipé d’une cuisine qui leur prépare deux repas par jour. «On y fait de délicieux biscuits». Cinq intervenants psychosociaux sont également à leur disposition pour faire face à leurs enjeux personnels de santé mentale, de dépendance, de logement ou judiciaires.

Gilles Bélanger, fidèle camelot, un des premiers à l’Itinéraire, décédé 12 janvier dernier © Courtoisie

Un commerce pour aider les itinérants autochtones

Le Café de la Maison Ronde est le seul café de rue au Québec dédié à la réinsertion sociale des Autochtones. Il est implanté au square Cabot dans une ancienne vespasienne, près du métro Atwater. Du café de torréfaction autochtone et des plats à base de pain bannique y s’ont proposés au grand public. Dans le premier volet du programme social, il est proposé à 45 Autochtones, âgés de 18 à 35 ans en grande précarité, de travailler au café après une formation de barista et d’être rémunérés pour quelques heures par semaine, en rotation, et de les écouter.

Pour ceux qui souhaitent s’en sortir, ils peuvent ensuite être pendant 26 semaines dans le deuxième volet du programme. Par cohorte de neufs personnes, ils sont alors employés à temps plein au café et retirés de l’aide sociale. «Nos intervenantes sont dévouées et formées régulièrement en réconciliation et sensibilisation. Le programme qui existe depuis cinq ans est adapté à chaque participant, en fonction de ses valeurs et de sa culture. Le taux de réussite est proche de 95%.»

Debout dans la tempête

Des dons ont permis de compenser le manque à gagner des magazines qui ne se vendaient plus pendant la COVID. Une infolettre a été créée pour maintenir le lien avec les lecteurs. «Au début de la pandémie, nous avons craint des rechutes chez nos participants. Mais nous n’avons finalement fermé le bureau qu’une semaine et (avons) été là pour eux.»

Un nouveau défi frappe à la porte

Depuis un an l’organisme reçoit de plus en plus de demandeurs d’asile. «Ils ont souvent vécu des traumatismes dans leur pays. Nous ne sommes pas outillés pour cela. Je trouve très dur de ne pas pouvoir aider les demandeurs d’asile qui ont des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Il nous faudra trouver des solutions.»

M. Desjardins est descendu dans le Café Chez Monsieur Paul pour échanger avec des camelots et des employés. Le temps passe. Un camelot au sourire contagieux a récupéré son chariot rempli de journaux pour se rendre sur un point de vente, peut-être au coin de votre rue.

Informations: itinéraire.ca

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Reflets de Société: Pour les jeunes et les Autochtones en difficulté 

Le groupe communautaire est implanté depuis 1992 dans HoMa. Son directeur général, Raymond Viger, nous a reçus au calme dans les nouveaux locaux du Café Graffiti, au 3894 de la rue Sainte-Catherine Est. Avec des moments d’émotion et de fous rires, l’échange d’une heure a eu lieu dans le grand atelier visible depuis la rue, au milieu de magnifiques œuvres réalisées par les pensionnaires.

Raymond Viger © Lilian Largier

À l’âge de 30 ans Monsieur Viger, alors entrepreneur, sortait d’une grosse dépression et de deux tentatives de suicide. Souhaitant prendre un virage communautaire, il a été le premier bénévole et directeur de l’association, qui est aujourd’hui organisée autour de six organismes.

Un lieu de vie pour les jeunes artistes

«En 1997, nous avions observé que certains jeunes tagueurs de 16 ou 17 ans étaient chassés par la police ou se retrouvaient en prison. Cela n’avait aucun sens», se souvient M. Viger, son directeur, le regard bienveillant. De là est née l’idée du Café Graffiti où les jeunes se retrouvent et créent. Ils peuvent y suivre gratuitement des ateliers avec des animateurs culturels. «Nous prenons de jeunes délinquants pour en faire des artistes. Certains vont lancer leur propre entreprise, puis recruter plus tard des jeunes de chez nous». Le financement est assuré par des initiations aux graffitis payants pour des groupes de 40 à 80 étudiants internationaux en voyage, et animées par des jeunes du café ainsi rémunérés. 

Une partie de l’équipe de Reflets de Société © Lilian Largier

Une revue provinciale engagée

Journal de rue avait créé en 1992 le premier journal de rue francophone au monde. Puis le journal L’Itinéraire est arrivé en 1994 sur le même territoire, Montréal. «Pour éviter la concurrence dans la même ville, Reflets de Société a vu le jour, sur demande des travailleurs de rue de Fairmont qui voulaient un magazine accessible en région». Vendu par abonnement et envoyé partout au Québec, ses journalistes couvrent des sujets délicats comme la dépendance, la santé mentale, le milieu carcéral, la communauté LGBTQ+ ou la prostitution. Les bénéfices permettent ensuite de fournir des services gracieux aux jeunes marginalisés.

Une maison d’édition tournée vers la poésie

Les éditions TNT publient une centaine de livres par an, principalement des recueils de poésie, écrits par 30 auteurs ou qui sont parfois le fruit d’ateliers offerts au Québec dans des centres jeunesse, des écoles alternatives ou avec des enfants ayant des problèmes de santé mentale. «TNT a un rôle provincial de diffusion la plus inclusive possible. Nous travaillons avec Fierté littéraire, Transpoésie ou encore la communauté LGBT+, en faisant des soirées avec eux au Bistro Ste Catherine mais en étant aussi leur éditeur.»

Une scène alternative ultramoderne

Racheté en 2017 le Bistro Ste-Catherine programme des spectacles diversifiés et inclusifs avec du chant, de la musique jazz, blues ou du monde, des soirées ou des cinq à sept autour de la poésie, du hip-hop avec des drag-queens ou des partenaires communautaires, un brunch au profit des Ukrainiens. «Jean-Paul Daoust, poète québécois de 75 ans, a pu y croiser sur les planches de jeunes poètes et slameurs». L’équipement entièrement numérique permet de réaliser des captations en direct sur les réseaux sociaux ou des enregistrements. Pour en savoir plus: stecath.com/evenement

À l’origine une couveuse de projets

Journal de rue, qui a aussi été un journal de 1992 à 1997, créé des projets communautaires pour répondre aux besoins des jeunes marginalisés, qui n’ont pas de soutien. «Ces jeunes peuvent avoir des problématiques de santé mentale, de trouble du comportement, de violence, de toxicomanie, et sont exclus des ressources pouvant les aider».

Les champs d’action sont vastes et l’organisme peut par exemple intervenir auprès d’un jeune qui a des problèmes de santé mentale et une famille dysfonctionnelle, qui ne réussit pas obtenir ses papiers légaux, carte de sécurité sociale ou qui souhaite sortir de la prostitution. «Dans une autre catégorie, nous avons accompagné une fille qui cumulait les baccalauréats, incapable d’affronter le monde du travail. Nous l’avons engagée pendant deux ans avant qu’elle se fasse confiance et trouve un emploi à Radio-Canada».

Une fondation discrète

La fondation Survivre intervient dans l’ombre depuis 2017, dans la promotion de services en santé mentale et en prévention du suicide.

Informations : refletdesociete.com | stecath.com | cafegraffiti.net | editionstnt.com | journaldelarue.com | survivre.social.

À propos de l'auteur

Lilian Largier

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