Attablé à un café dans Hochelaga, à la limite de sa circonscription, j’attends Paul Saint-Pierre Plamondon. Il arrive à l’heure, suivi par sa directrice de bureau et un homme qui assure sa protection. Il me sert la main avec fermeté et s’adresse à moi avec dynamisme. La conversation est fluide et les thèmes s’enchainent naturellement.

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Comme il est coutume, on commence par un «Bonjour M. Plamondon, comment allez-vous?» Ça va bien, c’est beaucoup de travail parce qu’on prépare une formation politique à la hauteur des défis d’aujourd’hui, mais ça va bien. On est dans une période tumultueuse avec de nombreuses crises, dont sociales, environnementales et potentiellement économiques alors il faut trouver les bonnes personnes, avoir les réflexions les plus précises et rigoureuses possible pour être à la hauteur de ces défis-là. C’est énormément de travail, mais j’ai toujours pensé que j’étais privilégié de faire cette job-là. En y repensant, c’est arrivé plus vite que ce que j’anticipais. Sans la démission surprise de Pierre Karl Péladeau, mon chemin aurait été complètement différent. 

Qu’est ce que ça veut dire être un entrepreneur en politique? Le politicien classique va tenter de faire des gains dans les opinions, dans les sondages, en prenant une position populaire au diapason de la population le jour où l’actualité dicte un sujet. C’est une vision très à court terme des gestes que l’on pose. L’entrepreneur va se fixer un objectif, va se faire un plan de marche et ensuite va suivre à la lettre le plan de marche indépendamment des aléas du jour. La vision est sur le moyen-long terme, dans la constance. Pour être un bon politicien, il faut être capable des deux: comprendre l’actualité et ne pas fléchir au gré du vent.

Il est vrai que la politique québécoise a tout de même une offre politique complète, si on regarde le niveau du débat des chefs en 2022, c’était du très haut niveau par rapport à n’importe où dans le monde. Le plus important à mes yeux, c’est que le électeurs ne votent plus dans une perspective défaitiste ou morose; ce qu’ils ont fait lors de l’ère Charest, l’ère Couillard et l’ère Legault. 

Ce n’est pas trop dur être père, politicien, chef du parti? Oui, c’est difficile, je suis constamment en train de me demander si je suis à la hauteur dans chacun de ces secteurs-là de ma vie. Je ne veux pas avoir le sentiment d’avoir raté l’enfance de mes enfants,  mais je ne veux pas non plus avoir le sort du parti et de l’indépendance entre mes mains et ne pas être à la hauteur. Ce n’est pas différent de plein d’autres parents.

Êtes vous anti-woke? Je suis critique du wokisme, je suis d’accord d’être bienveillant et de vouloir inclure. Mais ces dernières années on n’a vu que les procès d’intention sur qui est le plus bienveillant, le plus inclusif. Ça s’est substitué à l’examen rigoureux de si une théorie tient la route ou pas. Mais c’est un problème qui existe à droite comme à gauche, il s’est développé dans le mouvement libertarien conservateur québécois le même modus operandi, être beaucoup dans l’idéologie et déformer un peu la réalité pour servir sa clientèle. Parfois, on peut considérer le wokisme ou autre, comme une tentative de museler l’analyse de si une théorie tient la route de la rigueur ou pas. Je suis critique de la place grandissante de l’idéologie. 

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Je voudrais vous parler du sort des médias, le coût de la loi c-18 a été estimé à 250 millions $ pour les médias québécois, comment combler ce manque? Nous avons sorti un plan détaillé, mais les mesures qui nous semblent les plus efficaces sont bonifier les crédits sur le journalisme, venir en aide à des médias locaux dont le modèle est plus fragile, en se disant: c’est le prix de la démocratie. La transition qu’il faut faire c’est convenir que la démocratie est essentielle et donc, les médias sont des services essentiels au fonctionnement de notre société, de la même manière que les pompiers. Au minimum, il faudrait que l’état fasse sa part pour les médias locaux. Si leur modèle d’affaires ne tient pas, l’état doit les accompagner pour être certain que les médias soient stables. Rappelons que les sommes ne sont pas colossales, ce n’est pas des fortunes qu’il faut dépenser pour stabiliser les différents médias régionaux du Québec. 

Le Québec souffre encore de pénurie de main d’oeuvre? Oui, on est toujours en pénurie de main d’oeuvre, si des gens n’arrivent pas à trouver de l’emploi, c’est plus du côté de l’employabilité ou des carrefours d’emplois qu’il faut se tourner. 

Il faut augmenter le taux de participation du marché du travail. Toutes les études disent l’immigration n’est pas une solution. Dans une étude plus récente on démontre que ça creuse la pénurie de main-d’oeuvre dans une situation de pénurie de logements. En réduisant l’immigration temporaire et permanente, on va réduire la pression sur le logement, sur la santé et l’éducation. Par contre, on va devoir compenser avec une participation au marché du travail accrue, des ainés et des personnes en temps partiel. Évidemment, sur une base volontaire, en incitant avec des crédits d’impôts. 

En ce qui concerne l’immigration, ce qui est fondamental, c’est être en mesure d’accueillir tout le monde dans des conditions dignes. Peu importe les caractéristiques physiologiques ou l’année d’arrivée, tous les Québécois doivent avoir le droit d’accéder à un logement, une éducation pour leurs enfants et des services. Si ce n’est pas le cas, dans 20 ans ces personnes pourraient nourrir un ressentiment envers leur société d’accueil, parce qu’elle les a traitées comme des sous-citoyens. 

Officiellement, le Parti libéral du Canada dit ne pas suivre l’initiative du siècle et s’en est totalement détaché lorsqu’il a compris que c’était radioactif. Mais remarquez, les chiffres auxquels nous contraint le gouvernement du Canada, c’est exactement l’initiative du siècle. Mais c’est basé sur des fausses prémisses, l’idée que c’est la solution à la pénurie de main-d’oeuvre est invalidée par la recherche, l’idée qu’une immigration astronomique va créer de la richesse est fausse. Ça va augmenter les PIB, mais le PIB par capita peut même reculer comme le démontre l’étude de la Banque Nationale. C’est un dérivé idéologique. 

Le Québec peut-il exister dans un Canada à 100 millions? Aucun avenir en français. Ce que le Canada nous réserve c’est le déclin de la langue et de la culture québécoises jusqu’à ce qu’elles deviennent folkloriques. C’est en train de s’accélérer, parce que notre poids politique et démographique diminue dans le Canada. Fut une époque où Jean Chretien ou Bryan Mulroney avaient besoin de gagner le Québec, désormais ni Trudeau, ni Poilièvre n’ont besoin du Québec pour devenir Premier Ministre du Canada. Le Québec devient inaudible, peu considéré et souvent méprisé et on va être dans une posture défensive tant qu’on sera considérés comme une anomalie.  

Les services publics souffrent, nous l’avons vu avec les profs, la santé etc.. comment améliorer le sort de ces travailleurs en maintenant la qualité du service public? Encore une fois, la participation au travail. On doit être plus nombreux à participer pour réduire la pénurie de main-d’oeuvre. On doit partir de la prémisse que l’on cherche a réduire les inégalités, parce que de gens qui n’ont pas de soutien, vont demander plus d’aide et mettre de la pression sur les services. Un gouvernement PQ ira bonifier les organismes communautaires, va prendre une approche interventionniste sur les causes profondes de ce qui crée des malaises. 

Nous avons soutenu les profs tout du long, si on veut une société viable, il faut qu’ils aient un salaire digne. Cela étant dit, pour la prochaine convention collective, si on veut améliorer le système d’éducation, je pense qu’il faudra beaucoup plus de préparation de la part des deux parties. Ce n’est pas normal que les profs aient reçu plein de demandes du gouvernement peu de temps avant l’échéance, ce qui a découlé en un conflit de travail qui a aussi immobilisé les familles québécoises. La prochaine fois, il faudra un dialogue qui commence longtemps avant l’échéance. 

L’accès à la propriété pour les jeunes est difficile et les loyers ne cessent de grimper, que faire? Rétablir l’offre et la demande, on ne peut pas avoir 528 000 migrants temporaires sur le territoire et penser que ça n’a aucun impact sur le logement. Trop de demandes et pas assez d’offres, les prix montent en flèche. Nous, on propose de réduire les taux d’intérêt de trois points pour le placer à 3% pour les premiers acheteurs. Aussi, doubler le crédit d’impôts pour les premiers acheteurs. Ça a un coût, mais je préfère que l’on paye plutôt que créer une iniquité générationnelle. 

L’indépendance, toujours au goût du jour? Il y a de l’écoute. Rarement le Canada aura été aussi méprisant envers la volonté démocratique des Québécois, rarement le PQ aura connu une montée aussi fulgurante. Beaucoup de gens sont à l’écoute, à cette époque remplie de crises, quand l’avenir de la différence québécoise est fragile, cela fait réfléchir à comment nous on veut sortir de ces crises. Parce que le Canada ne fait rien. Il nous condamne à investir dans les sables bitumineux, nous condamne à des choix douteux sur les Premières Nations… Il y a beaucoup de place pour cette discussion en ce moment. 

D’autant plus que toutes les études démontrent que le Québec dès le jour 1 serait l’un des plus riches au monde, avec le ratio d’endettement le plus sain au monde. Puis, il y a plein de comparables, scandinaves, hollandais, ils vivent dans la richesse. Ce serait ce que l’on connait en ce moment, mais en légèrement mieux parce que nos décisions seraient stratégiquement alignées avec nos intérêts, ce qui n’est pas le cas avec le Canada. 

Les Québec reste une région qui reçoit plus du Canada qu’elle ne donne, comment pourrait-elle s’en sortir? Le Québec reçoit de la péréquation, il n’y a pas d’argent canadien, c’est de l’argent québécois perçu par Ottawa et renvoyé ici. Le Québec reçoit moins d’investissements directs que d’autres provinces. Le bilan est rédigé dans le budget de l’an 1. La conclusion est que l’on se retrouve dans des situations comparables avec ou sans le Canada, avec la différence que dans un cas c’est nous qui décidons de notre sort en agissant en fonction de nos intérêts. 

Vous avez parlé de 82 milliards $, d’où sort ce chiffre et comment les récupérer? C’est ce qu’on enverra au fédéral l’an prochain. De ceux-là, on recevra 30 milliards $, souvent avec des conditions, mais il manque plus de 50 milliards $ qui sont dépensés en échange de peu de services. 

Comment vous préparez-vous pour 2026 avec entre 35 et 38% de soutien à l’indépendance? La préparation la plus importante, c’est la qualité des candidatures. On recherche des candidatures avec des compétences spécifiques à certains ministères, on recherche une parité hommes-femmes et une representativité de la société québécoise à tous les niveaux. Essentiellement, on recherche des gens de conviction qui sont droits et compétents. 35 ou 38%, ce n’est pas là où je veux me rendre, reparlons-nous dans un an. Les gens nous voient confiants et ça leurs donne le goût d’avoir confiance. Faut laisser le temps au temps aussi, j’ai la cohérence et la persévérance de mon côté, mais pas de magie. 

Auprès des anglophones, je mène une campagne constante pour que les gens comprennent nos motivations et se détachent d’une peur décalée de la réalité. La peur est le pire ennemi d’un projet de société. Il y a une fraternité anglos-francos, il y a un régime fédéral qui lui a intérêt à cataloguer les gens par catégories et ensuite d’instaurer un climat de peur entre des catégories  pour maintenir le pouvoir. Diviser pour mieux régner.

Le sondage léger vous a placé en tête, imaginez que vous avez gagné et que vous êtes premier ministre, comment s’enclenche le processus de l’indépendance? On a un livre bleu qui porte exclusivement là-dessus, qui sort non pas cette année, mais l’année suivante. Si vous voulez voir un parallèle allez voir «Scotland’s Future in to Scotland Hands». Ils ont vraiment fait un bon travail. 

Quelle relation aurait le Québec avec le Canada et le reste du monde? Avec le Canada, après quelques années de tumulte et de blabla…ça va ressembler à la Suède et la Norvège. Quelques énervements sur le coup, mais au moyen terme, une bonne relation. Personne n’a intérêt d’avoir une mauvaise relation avec son voisin. 

Pour le reste, bien sûr la France, la Belgique, la Suisse. Les pays francophones d’Afrique évidemment. Étonnamment, l’Angleterre, malgré le passé colonial. Bien sûr, notre allié naturel, les États-Unis, c’est tellement évident que je ne le nomme pas. J’ai une historique particulière avec les pays scandinaves alors c’est pas trop rationnel mais…

Le tout en français. Après, on négocierait avec les Nations Autochtones ce qu’elles veulent. Le français est la langue officielle du Québec, après il faudrait voir ce que les autres nations veulent pour leurs langues. 

Un mot de la fin? La vie est courte, de notre vivant si on a le choix de prendre le parti de la vérité et de l’optimisme, c’est triste de ne pas le faire. Pour le Québec, après la domination canadienne qui ne nous donne pas d’avenir, ça va être important, quand le rendez-vous ultime aura lieu, de ne pas céder à la peur et donner la réponse qui est porteuse d’espoir.

 

Par Jean Corrieras-Mur

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Échos Montréal

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