Luc Rabouin est arrivé sur la scène politique en octobre 2019, lors d’une élection partielle dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal déclenchée par la démission de Luc Ferrandez. M. Rabouin l’avait remporté avec 67% des suffrages exprimés, et a ainsi complété le mandat de son prédécesseur. Il a ensuite été réélu avec 76% des voix en 2021, toujours sous la bannière de Projet Montréal, le parti politique municipal de la mairesse de la Ville de Montréal, Valérie Plante, auquel M. Ferrandez appartenait aussi. Il est également membre du comité exécutif la Ville.

«Pourtant, rien n’était planifié», nous a-t-il avoué. Originaire de Blainville, Luc Rabouin a obtenu une maîtrise en Science politique à l’Université de Montréal et un DESS de second cycle en Développement économique communautaire à l’Université Concordia. Il a débuté sa vie professionnelle en 2006 au CLSC du Vieux-Lachine en qualité d’organisateur communautaire pendant presque dix ans, avant de rejoindre en 2006 le Centre d’écologie urbaine de Montréal comme directeur général. Il évoluera pendant deux ans en France à la direction générale de Communauto-France, société montréalaise qui offre un service d’autopartage. De retour à Montréal en 2014, il tiendra le même poste à la Corporation de développement économique communautaire (CDEC) Centre-Sud et Plateau Montréal. Il poursuivra auprès du réseau PME MTL Centre-Ville au poste de directeur du pôle économie sociale et employabilité, en 2015, avant d’être Directeur du développement stratégique et communications de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, en 2016.C’est donc en 2019 qu’il décide de faire le grand saut en politique, traversant la pandémie. Nous avons rencontré Luc Rabouin dans son bureau pour évoquer ce choix surprenant de carrière, et faire le point à mi-mandat avec les missions qui lui tiennent à cœur, les défis (dékicats) à venir, et enfin les lieux qu’il affectionne tout particulièrement dans l’arrondissement.

Bonjour, Monsieur le Maire, vous êtes originaire de Blainville, avez fait vos études à Montréal et travaillé en France…

Oui, je suis né et j’ai grandi en banlieue à Blainville, et comme pour beaucoup de monde pour l’université j’ai déménagé à Montréal. Depuis mes 18 ans environ j’habite sur le Plateau. J’ai résidé aussi un peu dans Rosemont et travaillé pendant deux ans à Paris.

Vous auriez pu avoir un tout autre parcours, car vous avez évolué dans le domaine privé, mais aussi communautaire, avec une fibre sociale, environnementale à des postes de direction. Est-ce que ce cheminement vous aide aujourd’hui?

Rien n’était prévu. Mais quand je regarde en arrière, mes expériences m’ont bien préparé à faire le type de «boulot» de maire d’arrondissement et pour mes responsabilités en développement économique au comité exécutif [de la Ville de Montréal]. Sur le contenu, mais aussi sur le type d’expérience, car depuis 15 ans j’ai évolué plus en gestion et direction d’organisations, autant en environnement urbain, sur les enjeux sociaux comme organisateur communautaire dans un CLSC, qu’en développement économique local. J’ai fait aussi de la direction d’entreprise en dirigeant Communauto à Paris pendant deux ans. Ce qui m’emmène sur les différents contenus auxquels nous devons faire face.

Il y a des moments où vous avez été gestionnaire avec un volet plus économique, et la nécessité d’allier les enjeux à une certaine «réalité»?

Dans la fonction de maire d’arrondissement, nous devons conjuguer les différents enjeux. Moi je les ai travaillés un après l’autre. Maintenant nous devons les mettre ensemble et trouver le bon équilibre. Le fil conducteur, c’est l’engagement dans l’action collective et le bien collectif.

Dans ces postes, la plupart du temps vous deviez discuter avec les collectivités et les acteurs du secteur public, sur des projets ou sujets?

Il y a toujours eu, dans mes postes, des liens avec les villes et les arrondissements. Même en France pour Communauto, j’avais des enjeux avec la Ville de Paris et le Syndicat des transports d’Île-de-France [qui se nomme depuis Île-de-France Mobilités]. Dans tous mes emplois, j’avais souvent à tenter de convaincre les municipalités et les arrondissements de faire des choses. Là c’est le «fun», car maintenant je n’ai plus besoin de les convaincre, j’ai une possibilité de décider, même si l’on ne peut pas faire n’importe quoi et que nos budgets sont limités.

Nous sommes en 2019 et vous vous portez candidat aux élections municipales partielles de l’arrondissement…

Quand Luc Ferrandez a démissionné, je me suis dit qu’il fallait que le changement continue, car j’adhérais à sa vision. J’ai commencé à joindre des gens pour voir qui pourrait se présenter. Je n’avais aucune intention, car je n’avais jamais été dans ce rôle-là avec beaucoup de pression, de temps à consacrer. Finalement il n’y avait pas tant de monde que cela, surtout pour deux ans, un demi-mandat. Je me suis alors dit qu’il fallait que je le fasse, et que cela était peut-être une occasion pour moi, le temps qu’une autre candidature émerge. Je me suis donc engagé pour deux ans.

Puis la Covid arrive…

Après les deux ans, je me suis quand même posé la question à savoir si je faisais encore un autre quatre ans, si je me représentais. J’ai été élu en 2019 et tout de suite c’était la pandémie. Nous avions un arrondissement qui fonctionnait bien. J’ai été nommé rapidement au comité exécutif au développement économique. Mais les entreprises étaient en survie, les programmes ne marchaient pas. Cela était intense. Et puis je suis reparti pour un nouveau mandat [après avoir remporté les élections de 2021].

Quelles en ont été alors vos motivations?

C’est un poste difficile, mais cela est aussi un privilège quand même d’être choisi par les citoyens et d’assumer cette responsabilité-là. Je trouve cela gratifiant.

Avec du recul, quels sont les enjeux de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal?

Un des enjeux les plus importants au début de mandat et maintenant, et qui nous anime beaucoup, est la question du logement, même si nous avons un pouvoir limité. Nous sommes en crise du logement, Québec l’a reconnu, ce qui n’a pas été toujours le cas. Nous le reconnaissons depuis longtemps et depuis que je suis élu, nous avons travaillé à mettre en place tous les outils dont nous disposions pour nous assurer que le Plateau demeure le plus accessible possible pour toutes les catégories sociales, même si nous savons que cela est  vraiment difficile. En effet les coûts des logements ont augmenté et l’accès à la propriété sur le plateau est à peu près impossible.

Pourriez -vous nous donner un exemple de mesure?

Nous avons initié et lancé l’escouade sur les locations touristiques légales, ou Airbnb, car nous savons qu’actuellement beaucoup de logements ici sont dédiés à la location touristique. Une mesure dont je suis assez fier. La loi provinciale a été modifiée pour être un peu plus restrictive et les amendes ont été augmentées. Nous avons travaillé à convaincre le gouvernement du Québec d’ajouter des ressources. Il y a plein propriétaires en faute ou qui louaient de manière illégale, mais qui ne se faisaient pas prendre par manque d’inspecteurs. Nous avons demandé pendant des mois à Revenu Québec d’en ajouter. Mais comme la situation ne changeait pas, nous avons décidé de créer notre propre équipe d’inspection ou escouade, même si nos amendes sont plus faibles que ce que Québec peut imposer. Note escouade est une première à Montréal, nous travaillons avec les arrondissements de Ville-Marie et Sud-Ouest pour développer la méthode. Au-delà des amendes, nos inspecteurs transmettent des dossiers documentés à Revenu Québec qui peut donner des amendes beaucoup plus élevées. Nous effectuons le travail sur le terrain.

Y a-t-il eu d’autres actions dans le secteur du logement?

La Ville et l’arrondissement ont participé à l’acquisition du manoir Lafontaine, un immeuble de 93 logements abordables, qui avait été acheté par un grand propriétaire, en avant du parc Lafontaine. Il allait chasser les locataires, rénover puis tripler les loyers. Nous avons travaillé très fort avec un organisme à but non lucratif Interloge en lui permettant d’acquérir le bâtiment, et le responsable de l’habitation à la Ville, Benoit Dorais. La Ville a mis finalement 7M$ en subvention à l’organisme pour acheter et rénover la maison. Les logements vont être abordables à perpétuité et il n’y aura plus de menace d’éviction. Nous achetons des immeubles ou des terrains que l’on réserve pour du logement social ou abordable. Beaucoup de gens ne sont pas capables de payer au prix  du marché actuel, sur le Plateau particulièrement, et cela nous prend donc des logements hors marché, gérés par des coopératives ou des organismes à but non lucratif. 

Avec sa nouvelle nomination, Monsieur Rabouin se retrouvera devant les micros très bientôt… © Sylvain Légaré

Des défis environnementaux demeurent-ils?

L’autre grande priorité est tout ce qui tourne autour de la transition écologique. Le verdissement du maximum d’espaces possible, la réduction de l’utilisation de la voiture individuelle, et des aménagements favorables aux déplacements à pied ou à vélo. Nous avons sécurisé plusieurs rues et nous continuerons. Projet Montréal fait cela depuis 14 ans sur le Plateau, les gens sont habitués.

Il est toutefois difficile de se garer en voiture…

Oui mais sommes desservis par trois stations de métro, maintenant un réseau de bus express, un réseau cyclable. Le REV [Réseau express vélo, voies cyclables de 191km] sur Saint-Denis est la piste la plus utilisée, battant des records chaque année. Il y a des options et il reste toujours la possibilité de venir en voiture.

Pour l’agriculture urbaine, faut-il des projets localement ou à plus grande échelle?

Cela prend les deux,  ce n’est pas vrai que la ville va tout planifier, coordonner et réussir à tout implanter. Mais la Ville a une stratégie d’agriculture urbaine, et Montréal est reconnue comme un leader mondial en la matière. Nous avons plein d’initiatives comme les jardins communautaires qui existent depuis de nombreuses années, des jardins collectifs portés par des organismes, sur les toits, ou des initiatives privées comme les Fermes Lufa, et d’autres projets en pleine terre. Mais les arrondissements peuvent aussi faire preuve d’initiative. Au Plateau, nous sommes en train de développer un projet sur la place Gérald-Godin, derrière la station de métro Mont-Royal, avec un jardin, un espace dédié pour l’agriculture urbaine. Nous l’avions fait avec l’aménagement de grand bac tout le long du parc Baldwin, en lien avec un organisme. C’est très important pour nous.

Sur un autre sujet plus délicat, la lutte contre l’itinérance reste un défi de taille et qui ne semble pas beaucoup avancer, et la pandémie n’a pas aidé?

La situation actuelle est très préoccupante. On le voit dans presque dans toutes les villes au Québec. Certaines n’avaient jamais été confrontées à cette problématique, elles se retrouvent avec des personnes en situation d’extrême vulnérabilité. On le voit aussi à Montréal avec le dénombrement avec plus de personnes concernées. Dans l’arrondissement, on le voit dans le quartier Milton-Parc ou près de l’Hôtel-Dieu à une échelle locale. Depuis la pandémie le nombre d’itinérants a augmenté, car il y des gens qui n’ont plus eu de suivi, d’accompagnement, avec des troubles de santé mentale sévères et qui se retrouvent à la rue, avec des problèmes de consommation, sans compter la [médiocre] qualité des drogues qui circulent. Cela est extrêmement préoccupant. Ce sont des enjeux de santé publique, qui relèvent du gouvernement du Québec. Nous le voyons sur le terrain, Québec doit investir des ressources, car la Santé est une compétence provinciale. Le troisième élément qui s’ajoute dans le cocktail est la Crise du logement. Des gens ne se retrouveraient pas dans la rue si on leur avait trouvé une option de logement. Pour des maisons de chambres, si une personne ne peut pas payer, la dernière étape est la rue. Sur le Plateau nous avons adopté un règlement qui interdit de changer la vocation d’une maison de chambres. Car les propriétaires ont des occasions de vendre cher les appartements ou immeubles. 

Pour la fin du mandat, quels sont vos plans? 

Nous avons une plateforme électorale très claire sur les projets qui nous préoccupent dont le logement, nous sommes dans la continuité. Sur la problématique des locations touristiques, nous voulons augmenter les ressources et les déployer sur tout Montréal. Dans les grands projets qui nous animent beaucoup, nous les élus du Plateau, on trouve le chemin Camillien-Houde, reverdir et renaturaliser la montagne, la rendre beaucoup plus intéressante pour les piétons et les cyclistes, en maintenant un accès pour les voitures. Mais nous avons aussi des choses plus basiques à faire, comme un aréna fermé qu’il faut rouvrir, tout comme la piscine dans l’est du Plateau [Baldwin]. Si je dois quitter un jour, ma préoccupation principale est de m’assurer que nos actifs soient en aussi bon état que quand je suis arrivé. En tant qu’élus, nous sommes responsables de protéger les actifs des citoyens, faire des projets certes, mais aussi prendre soin de ce que l’on a, nos immeubles, nos parcs et nos bibliothèques par exemple. Il faut les entretenir.

Pour conclure quels sont vos endroits préférés dans l’arrondissement du Plateau Mont-Royal?

Nous avons beaucoup de chance sur le Plateau-Mont-Royal d’avoir de nombreuses rues commerciales animées et diversifiées sur lesquelles il fait bon déambuler surtout lorsqu’elles sont piétonnisées, mais voici quelques-uns de mes coups de cœur. Boulangeries: Les Co’Pains d’abord et Guillaume. Pâtisseries: Zébulon et Fous dessert. Restaurants: Byblos et Festin de Babette. Théâtres: La Licorne et Théâtre du Rideau Vert, et l’été le Théâtre de Verdure. Librairies: un livre à soi et Le Port de tête. Parcs: Lafontaine et des Compagnons.

N.L.D.R. – On apprend en dernière heure que Monsieur Rabouin a été nommé Président du comité exécutif à la Ville de Montréal, remplaçant Mme Dominique Olivier démissionaire. Nous lui souhaitons un franc succès! 

Bannière principale: © Sylvain Légaré

À propos de l'auteur

Lilian Largier

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