Plus que simple composante d’un système économique qui ambitionne de s’en passer, le travail, autant source de prestige que d’aliénation, conditionne à plusieurs niveaux notre réalité sociale. Son caractère sacré, voire « naturel », empêche bien souvent de le confronter à une critique profonde et transversale autrement qu’à travers l’art, pôle de réflexions subversives. Ainsi, pour sa 10ème édition, le Festival Art souterrain de Montréal investit ce phénomène structurel et structurant, proposant de jauger à l’aune de formes artistiques diverses ses implications politiques, sociales et émotionnelles. Entretien avec le commissaire principal du Festival, Frédéric Loury.
Comment l’idée de questionner le travail vous est-elle venue ?
Il s’agit en fait d’une concordance d’événements, la concomitance de liens qui existent entre la trajectoire du Festival et les lieux physiques des expositions, soit le réseau souterrain montréalais. Celui-ci sert de transit pour des centaines de milliers de travailleurs, qui sont, sans nécessairement le vouloir, aux premières loges. Deuxièmement, la thématique découle d’une introspection qui s’imposait suivant la modification de notre structure de fonctionnement interne. Composée uniquement de bénévoles au départ, notre équipe compte désormais quelques employés salariés. Enfin, nous voulions exposer les changements spectaculaires survenus dans le monde du travail au cours des deux dernières décennies. La dématérialisation des lieux de travail, la fréquence de changements et l’accumulation d’emplois, l’équité salariale, etc. C’est une révolution qui surpasse celle de l’ère industrielle.
Selon vous, l’art permet-il de démystifier le travail, voire de le démythifier ?
Si vous ouvrez les pages d’un journal, vous verrez que lorsque l’on aborde le travail, on vise avant tout à remettre en question des pratiques, ou alors on parle en termes de compétitivité. L’artiste qui pose son regard sur le travail y voit des enjeux inédits qui témoignent d’expériences vécues, il offre une vision personnelle sur des sujets complexes. Bref, l’art est un miroir de nos conditions de vie. Cette année, c’est plus de 90 artistes qui sont exposés, 90 regards sur des notions différentes qui ultimement remettent en question qui nous sommes et comment nous nous projetons en tant que travailleur.
En quoi les lieux physiques des expositions rendent-ils l’événement unique ?
Je le disais plus tôt, les travailleurs qui traversent le circuit sous terre se voient en quelque sorte imposer ce déploiement artistique. Certains passent sans s’arrêter, alors que d’autres, intrigués, prennent part à l’événement. Enfin, malgré le fait que par exemple le réseau souterrain soit le lieu le plus visité par les touristes l’hiver, l’offre culturelle y est à peu près nulle mis à part lors du Festival !
Jusqu’au 25 mars, l’événement intitulé Labor Improbus(syntagme latin signifiant « travailler sans relâche ») offre deux routes truffées d’expositions, l’une se déployant dans le réseau souterrain, l’autre, satellite, reliant cette fois à la surface neuf lieux culturels.