Manon Massé, l’élue de la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques et le Comité Logement de Ville-Marie doutent que les trois nouveaux projets immobiliers qui pourraient représenter plus de 10 000 logements aux alentours du pont Jacques-Cartier ne correspondent pas aux besoins de la population du quartier.
Les développements en question sont le Quartier des Lumières entrepris par le Groupe Mach sur l’ancien terrain de Radio-Canada; l’Esplanade Cartier par Prével; et le Redéveloppement Molson sur l’ancien site de la brasserie du même nom par un consortium formé par Groupe Sélection, MONTONI et le Fonds immobilier de solidarité FTQ. Dans son ensemble le Quartier des lumières promet 3500 unités de logement, les 6 lots de l’Esplanade Cartier en totalisent environ 2000 et le redéveloppement de la brasserie Molson pourrait en inclure de 5000 à 6000.
Madame Massé, qui représente Sainte-Marie–Saint-Jacques à l’Assemblée nationale depuis 9 ans, semble plutôt critique des deux premiers projets. Pour le projet Prével, si elle considère qu’il y a certains points positifs comme le Y des femmes, puisque plusieurs parties du projet ont été approuvées avant l’adoption du règlement de la métropole mixte (RMM), elle considère que «ça ne répond pas aux besoins de la population de manière générale». Pour ce qui est du Quartier des lumières, la co-porte-parole de Québec solidaire rappelle que lors de la vente du terrain par Radio-Canada, des lots étaient réservés pour construire du logement social, mais que: «Malheureusement, parce que Québec n’était pas au rendez-vous, il n’y a pas l’argent pour construire les unités de logement. Encore là, pense-t-elle, ce n’est pas une bonne réponse pour le monde alentour qui n’arrive pas à se trouver une place avec l’augmentation fulgurante des loyers».
Projet Molson, le groupe Sélection mène à la confusion
L’avenir du projet sur le terrain de l’ancienne brasserie Molson est incertain. Le redéveloppement est entre les mains de trois promoteurs, le fonds de solidarité de la FTQ possède 30% comme de Montoni et le Groupe Sélection qui est en difficulté en possède 40%.
«Le Groupe Sélection est sous la protection de la loi contre ses créanciers, donc dans une position plus fragile» explique Josée Lagacé, la vice-présidente des communications de fonds de solidarité FTQ. Le démantèlement du Groupe Sélection a commencé depuis février dernier dans le but de réduire son importante dette d’un milliard de dollars.
Le fonds de solidarité de la FTQ, parmi d’autres partenaires de Groupe Sélection, a démontré son intérêt pour le rachat, en tout ou en partie, de propriétés du portefeuille de Groupe d’après un article du Journal de Montréal. Madame Lagacé indique tout de même qu’aujourd’hui, «on est trois partenaires et on va continuer à faire avancer le projet à trois partenaires».
Si Mme Lagacé affirme que «l’intention est de faire un projet à la Molson qui serait emblématique pour les Montréalais.es, qui va permettre à toutes les générations et toutes les bourses de l’habiter», elle stipule aussi qu’il est «vraiment trop tôt pour déterminer le prix aux pieds carrés des unités».
Samuel Vanzin, un organisateur du Comité Logement de Ville-Marie (CLVM) éprouve certaines frustrations avec le processus de consultation, «il n’y a pas vraiment de vrais détails jusqu’à tant que ce soit déjà trop tard et que tout est déjà accepté».
Le CLVM critique envers le Fonds de Solidarité
M. Vanzin reproche au Fonds de la Solidarité d’agir comme le ferait n’importe quel autre acteur privé dans le secteur immobilier en visant des taux de rendement qu’il considère comme absurdement élevés. Oui la pension de vos travailleurs, mais vous êtes supposé avoir une vision sociale […] surtout avec solidarité dans le nom» s’exclame-t-il. D’après lui, le Fonds devrait viser des rendements plus bas pour avoir une portée sociale plus grande.
Selon les dires de Mme Lagacé, 15% des investissements du Fonds de Solidarité vont dans la construction du logement social communautaire et abordable, «c’est dans notre ADN et l’on tient mordicus à le faire» ajoute-t-elle. Cependant, Mme Lagacé ne peut pas clarifier quelle proportion sera du social, du communautaire et de l’abordable dans ce 15%. La définition d’abordable qu’utilise la représentante du Fonds de solidarité est celle du Programme d’habitation abordable du Québec qui est basée sur le loyer moyen de la région et critiquée par beaucoup d’acteurs sociaux qui militent dans le contexte de la crise du logement.
La vice-présidente dit avoir l’intention de respecter le RMM qui oblige les promoteurs à inclure 20% de logements sociaux, 20% de logements abordables et 20% de logements familiaux dans leurs projets immobiliers, mais affirme aussi qu’il est trop tôt pour déterminer quelle portion du projet va être destinée aux logements sociaux ou communautaires et au logement abordable.
Le visage de la crise dans Ville-Marie
Il y a une forte corrélation entre les problèmes reliés à l’itinérance qui sont particulièrement médiatisés dans le Village, mais aussi présents partout dans l’ouest de Ville-Marie et la hausse des prix du logement d’après M. Vanzin. L’organisateur dit avoir observé un dangereux mélange de facteurs qui s’amplifient l’un l’autre dans son arrondissement durant les dernières années, la hausse des loyers, la détresse psychologique du confinement, la drogue de moins bonne qualité qui contient du fentanyl, s’accumulent pour créer un cercle vicieux.
Pour la députée solidaire aussi, la connexion entre l’itinérance et la crise du logement est évidente; «tout le monde capote en voyant l’augmentation de l’itinérance, quand est-ce qu’on va poser la question de : où est-ce que ces gens-là vont habiter? Il n’y a pas de place, c’est sûr qu’ils se retrouvent dans la rue».
La vision de France-Élaine Duranceau, la ministre de l’Habitation, semble être à l’opposé de celle de Québec Solidaire et du CLVM. Suite au reportage de Thomas Gerbet sur «l’allée du crack » qui faisait état de la cohabitation difficile entre les résidents au coin de la rue Charlotte et la rue Berger, dans l’arrondissement Ville-Marie, une journaliste a demandé à la ministre pourquoi le gouvernement n’investissait pas davantage dans la création de maisons de chambre. Mme Duranceau a répondu qu’« évidemment » la question relevait plus au ministre des Services sociaux Lionel Carmant».
Beaucoup d’amendes payées, pas beaucoup de logement créés
«Très majoritairement, les promoteurs qui sont sous l’obligation du RMM vont choisir de payer la pénalité au lieu de construire du logements social sur place», rappelle Mme Massé. En effet, d’après les chiffres compilés par le CLVM à partir des données ouvertes de la Ville de Montréal, depuis la mise en place du RMM, une des phases de l’Esplanade Cartier est le seul projet dans l’arrondissement Ville-Marie où la contribution financière permettant de contourner l’obligation du 20% de logement social n’a pas été payée.
M. Vanzin souligne le cas du Moden, un projet immobilier de deux tours qui, d’après la Ville, comporte 126 logements et qui, pour ne pas se faire imposer des logements sociaux a déboursé 317 657$. «C’est des montants qui sont assez absurdes», pense l’organisateur du CLVM.
D’après le site livabl.com 30 des 126 logements sont disponibles à l’achat, les prix sont en moyenne un peu en dessous de 300 000 $ pour un studio, un peu en dessous de 400 000$ pour les logements avec une chambre, ils sont de 580 000$ pour les logements à deux chambres et on peut dépasser les 750 000$ pour un appartement avec trois chambres. Une des intentions du RMM était d’obliger les promoteurs à inclure 20% de logement social dans leurs projets, donc environ 25 dans le cas du Moden, mais, grâce à leur contribution, les promoteurs du projet n’ont eu qu’à débourser la valeur d’un de leur studio de 435 pieds.
Sortir de la crise en créant du logement?
La construction de nouveau logement à elle seule ne nous sortira pas de la crise d’après Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). «Les promoteurs privés, quand on les laisse aller tout seuls, ils vont se concentrer dans les segments du marché qui sont assurément haut de gamme qui sont inaccessibles à ceux qui en ont le plus besoin», explique-t-il. Comme le démontre leur fiche socio-économique, le nombre de mise en chantiers de logement locatif a presque doublé depuis 2016, mais les prix continuent tout de même à augmenter.
Pour M. Vanzin, oui il y a un manque de logement, mais la notion que le problème est seulement là est un peu idéologique. «C’est comme du trickle down Economics, mais pour le logement, théoriquement ça peut sembler logique: des gens vont déménager dans des nouveaux condos plus dispendieux ce qui va libérer leurs anciens appartements moins chers pour quelqu’un d’autre». Il remarque que les choses ne sont pas si simples, c’est au changement de locataire qu’ont lieu les plus grandes hausses de loyers. Pour prouver son point, l’organisateur du CLVM cite le dernier rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement: (à Montréal) «pour les appartements de 2 chambres, il y avait un écart de 28% entre le loyer moyen des logements ayant accueilli de nouveaux locataires».
L’embourgeoisement du Centre-Sud
Dans un contexte où très peu de logements sociaux se créent, la co-porte-parole de QS craint que «la nécessaire mixité sociale qui rend ma circonscription si vivante s’effrite avec le temps».
Mme Massé déplore aussi la gentrification dans sa circonscription, les gens de la classe populaire qui ont d’importants besoins en logement voient, «sous leurs nez», des logements auxquels ils n’auront jamais accès se faire construire. «Il y a quelque chose de très triste là-dedans», conclut-elle. Elle insiste sur la nécessité de la mixité sociale, ce n’est pas une mauvaise chose que des personnes avec différents types de budget aménagent dans le quartier, mais «il faut que les gens de classes populaires puissent encore faire leurs épiceries».
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