Sans convention collective depuis 2020, Annick Bélanger, la Présidente du syndicat des employés d’Urgences-santé, prévient que l’organisation risque de «frapper un mûr» si les problèmes d’attraction et de rétention de main d’œuvre continuent. 

Annick Bélanger, Présidente syndicat employés Urgences-santé

Le personnel de bureau ainsi que les répondantes et répondantes médicaux d’urgences (RMU) ont manifesté devant les bureaux du Premier Ministre François Legault le 9 mars dernier pour lui faire savoir les conséquences qu’ont le blocage des négociations chez Urgence Santé.

Les RMU et les employés de bureau que représente le syndicat des employés d’Urgences-santé desservent les Villes de Montréal et Laval et traitent entre 40 et 50% de tous les appels d’urgence faits au Québec. Les RMU sont les personnes qui vont vous aider si vous composez le 911 pour une urgence médicale. Ils traitent les informations pour faire des évaluations, prioriser les urgences les plus graves et estiment qu’elle est la meilleure ressource à envoyer; que ce soit un paramédic avec des soins avancés ou un véhicule d’intervention rapide avec des premiers répondants. En plus, les RMU sont les personnes qui donnent les instructions aux téléphones aux personnes qui attendent l’ambulance, sur des procédures qui varient des réanimations cardiaques aux préparations en cas d’accouchement. 

La parité avec le municipal

«On ne veut pas avoir une rémunération meilleure que les autres, on veut la parité» soutient madame Bélanger en entrevue avec Échos Montréal quelques jours avant la manifestation. En ce moment, les répartiteurs du 911 rémunérés par le municipal, qui transfèrent les appels médicaux au RMU, sont mieux payés que leurs compères, même si, d’après madame Bélanger qui a eu les deux emplois, leurs tâches sont très similaires.  L’augmentation de 2% qu’offre le gouvernement du Québec à la date de la manifestation est inférieure à l’inflation, l’indice du prix à la consommation a augmenté de 6,8% en 2022.

La syndicaliste explique que Urgences-santé est en embauche continuelle alors que ses employés, mêmes les anciens, ne restent pas. Elle associe ces difficultés aux conditions de travail et aux salaires, «on est en concurrence avec plein d’autres types d’emplois dans un contexte où notre charge de travail ne cesse de grandir.»

De bons services «jusqu’à temps qu’on craque»

Jean Gagnon, le représentant du secteur préhospitalier de la Fédération de la santé et des services sociaux rappelle, dans un communiqué, qu’on ne peut tout simplement pas se passer de ces travailleurs et que «si l’on n’arrive plus à recruter du personnel ni à retenir les plus expérimenté.e.s chez Urgences-santé, il aura sur les bras un problème encore bien plus important.» 

Madame Bélanger assure qu’«il y a personne chez nous qui va vouloir que la population en souffre, les travailleurs d’Urgences-santé vont toujours donner plus pour ne pas que ça arrive». Malgré la dévotion qu’elle rapporte chez ses collègues, elle craint que la situation continue; «jusqu’à temps qu’on craque». D’après elle, avec la gouvernance des Libéraux puis des Caquistes, c’est par chance qu’il n’y ait rien arrivé de grave,  «si le système tient encore, c’est parce qu’il y a des gens qui sont près à tout pour ne pas laisser tomber la population.»

Si la Présidente du syndicat des employés d’Urgences-santé défend la qualité des services que continuent à fournir ses collègues, madame Bélanger rapporte que lorsqu’il manque de RMU, le personnel peut être poussé à faire du raccrochage urgent. C’est-à-dire qu’après avoir traité l’information essentielle, donné quelques directives, au lieu de prendre du temps pour rassurer le patient, le RMU doit annoncer à la personne au bout du fil: «il y a une ambulance en chemin, mais je dois raccrocher maintenant il faut que je prenne un autre appel d’urgence, rappelez-nous si votre situation change ou s’aggrave.»

Un métier déjà exigeant sans pénurie de personnel

Par la nature même de l’emploi, les conditions de travail des RMU peuvent être exigeantes. On y entend «des gens qui font  des crises cardiaques, des gens mourir, des gens qui font des overdoses» rappelle madame Bélanger. La Présidente du syndicat a observé que lorsqu’une tragédie arrive, qu’une mère trouve son fils pendu par exemple, «on dit qu’un policier ou un ambulancier ne devrait jamais vivre ça. Mais un RMU ne devrait jamais l’entendre non plus dans ses oreilles. Dans le meilleur des mondes, on ne devrait pas.»

«Des équipes de sept ou huit personnes peuvent prendre jusqu’à 900 appels par jour, sans compter les deuxièmes et troisièmes appels que font les personnes quand l’ambulance n’arrive pas», témoigne madame Bélanger. Elle rapporte même que certaines nuits, ils sont trois… pour desservir une population de 2 millions de personnes.

Dans ces conditions, beaucoup de personnes étirent leurs élastiques jusqu’à leurs limites, la syndicaliste dit voir souvent des gens sortir avec les larmes aux yeux «parce qu’ils sont juste plus capables». La charge de travail étant trop importante, beaucoup quittent en se disant «je ne suis pas obligé de vivre ça». D’autres, environ 10% d’après madame Bélanger, se retrouvent en arrêt de travail pour santé psychologique.

Patricia Rivest, la présidente du Conseil central de la Lanaudière–CSN, qui a pris part au rassemblement du syndicat des employés d’Urgences-santé à l’extérieur du bureau du premier ministre, affirme «qu’il y a toujours un prix à payer à refuser de reconnaître les travailleuses et les travailleurs à leur juste valeur.» 

Invisible pour le gouvernement

En négociation en décembre dernier, malgré les problèmes de rétention, le Conseil du trésor restait figé sur leur position; une augmentation de salaire dépassée de l’indice de prix à la consommation de 4,8%. Malgré une visite au Bureau de circonscription de monsieur Dubé, le Ministre de la Santé et des Services sociaux et deux fois au Conseil du trésor, le gouvernement semble ignorer le syndicat. Madame Bélanger rapporte que le ministre ne les a jamais contactés et que, lors de son entretien avec Échos Montréal, elle n’avait toujours pas eu de nouvelles du Conseil du trésor.

Bras de fer entre la CAQ et les syndicats

Une autre lutte syndicale qui fait rage au Québec en ce moment sont les négociations entre le gouvernement et le Front commun syndical qui représente 420 000 travailleurs de l’État québécois et qui est composé de la CSN, de la CSQ, de la FTQ et de l’APTS. L’enjeu est très similaire, les syndicats veulent faire augmenter leurs salaires et leurs conditions de travail pour mettre fin au cercle vicieux, où plus les employés aux charges de travail excessives quittent le public, le moins d’employés restent dans le réseau pour partager ces charges excessives.

À propos de l'auteur

Alexis Bataillé

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