Première femme journaliste à entrer dans le vestiaire des Canadiens de Montréal. Première directrice marketing d’une brasserie en Amérique du Nord. Première PDG d’une station de radio montréalaise majeure. Liza Frulla a fait éclater les limites imposées aux femmes, avant de devenir ministre de la Culture à Québec et ministre du Patrimoine à Ottawa. Aujourd’hui à la tête de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), elle continue de déployer son énergie légendaire pour faire bouger les choses, mais elle a fait un pas de côté, le temps d’analyser son parcours et de participer à la création de sa biographie, signée Judith Lussier.
Après des années de journalisme, de marketing et de prise de parole en politique, pourquoi ne pas avoir écrit le livre vous-même?
J’ai déjà collaboré à un livre sur mon amitié avec mon adversaire politique Louise Beaudoin. Ce fut un grand succès. On m’a souvent demandé de récidiver ou d’écrire mon histoire, mais je ne suis pas là-dedans. Ça me demanderait trop de recul de le faire moi-même, et je n’étais pas convaincue que ça pouvait intéresser qui que ce soit. Quand Judith m’a finalement convaincue, j’ai aimé l’idée de voir ma vie interprétée par quelqu’un de sa génération. C’est donc une biographie autorisée non censurée. Ma seule condition était de garder ma vie privée pour moi, mais Judith ne voulait pas aller là, de toute façon.
On peut lire que vos parents n’aimaient pas le risque, alors que vous en avez pris énormément dans votre vie. Était-ce un besoin conscient de mener une vie moins traditionnelle que la leur?
Complètement. J’ai vécu une enfance privilégiée, pleine d’amour, entourée par ma famille élargie. Ma grand-mère, une couturière haute gamme, m’habillait tout le temps comme une princesse. Mon père gagnait bien sa vie avec son épicerie. J’ai été choyée, mais, à l’âge adulte, j’ai senti qu’il me fallait plus qu’une vie traditionnelle avec un mari. Je me suis mise à prendre des risques. Ma mère trouvait que ça n’avait pas de bon sens, alors que mon père me répétait tout le temps: «Vas-y, t’es capable!». Chaque fois que je me trouve face à des choses qui me semblent insurmontables, j’entends ses mots et sa voix dans ma tête.
Quelles émotions vous habitaient lors de vos premiers pas comme journaliste et comme politicienne?
À mes débuts en journalisme, j’étais plus jeune et j’avais moins confiance en moi. Je trouvais ça plus énervant. J’arrivais en territoire totalement inconnu, alors que je couvrais la culture au Journal de Montréal. Je remplaçais Nathalie Petrowski, qui venait de quitter vers Le Devoir. Je me comparais à des journalistes chevronnés et je m’imposais une pression énorme. Par contre, en politique, où j’étais également une néophyte, je me souviens de m’être assise dans mon bureau de ministre des Communications, dans les premiers jours, en me disant: «Je vais bien aimer ça.» C’est fou à dire, mais j’ai senti une espèce de grâce de Dieu. J’avais la conviction que c’était fait pour moi, avant même de commencer.
On dit que vous faites preuve d’une assurance candide qui semble tout se permettre. Est-ce un tempérament nécessaire pour une femme dans les milieux d’hommes que vous avez fréquentés?
C’est dans mon caractère. Je suis une fonceuse. Il faut avoir ce trait de personnalité pour se lancer dans des aventures pas ordinaires. Par contre, je n’ai jamais eu la volonté de prouver aux hommes que je faisais aussi bien, sinon mieux, qu’eux. C’est plus un réflexe des femmes de la génération Y, selon moi. Dans ma tête, si un mandat avait l’air l’fun et que je me sentais capable de m’en acquitter, je me lançais. Après coup, quand je réalisais que c’était un boy’s club, je me disais: «Ah ben, coudonc! C’est pas grave. J’y vais pareil!».
Laquelle de vos réalisations vous rend la plus fière?
Je pourrais en nommer dans tous les pans de ma carrière. Quand on a revu entièrement l’image de marque de Labatt en étant des précurseurs du marketing. En politique provinciale, quand j’ai fait adopter une politique culturelle, dont ont émergé le Conseil des arts du Québec et la SODEC. Au fédéral, lorsque mon équipe et moi avons fait en sorte de rallier plusieurs pays à la convention sur la diversité des expressions culturelles et que le Canada a été le premier signataire. À l’ITHQ, lorsqu’on a fait changer la loi permettant à l’institution de donner un diplôme universitaire de façon automne. Bref, tout ce qui permet de changer la société.
Le titre du livre, La Passionaria, évoque l’importance de la passion dans vos choix de vie. Avez-vous déjà conservé un poste par devoir, même si la passion n’était plus là?
Jamais, sinon, je ne serais pas bonne. J’ai eu des postes de transition, en relations publiques ou à la direction du Canal Évasion, où je suis restée un peu moins longtemps. Toutefois, je n’accepte pas de ne pas être à mon meilleur. La vie est trop courte pour se réveiller le matin, sans avoir le goût d’aller travailler.
Prévoyez-vous rester longtemps à la direction de l’ITHQ?
J’ai encore tellement de choses à faire ! On est en train d’implanter un diplôme en gestion. On a des projets d’agrandissement : j’ai des vues sur un édifice à un jet de pierres de notre immeuble. Une équipe formée par nos professeurs a gagné la compétition Bocuse d’or Canada, l’équivalent des olympiques de la gastronomie. On devait se rendre au Pérou pour faire partie des cinq pays des Amériques dans le concours, mais ce fut annulé. On espère maintenant que l’événement à Lyon, qui a aussi été annulé deux fois, soit remis à l’horaire. Bref, je viens de finir mon premier cycle de cinq ans, et je me vois continuer pour un autre cinq ans. Avec la pandémie, on a énormément de réflexion à faire pour profiter de la situation et identifier certaines opportunités. Je vois même un troisième mandat dans ma tête.
Photo du livre et bannière principale: © Courtoisie