Collaboration Spéciale: Journaliste – Francine Faucher
C‘était le débat lancé entre professionnels des médias, lors du plus récent Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer.
D’entrée de jeu, l’animateur Bruno Guglielminetti a lancé la question suivante: «Un an après la loi C-11, où en est-on?».
La réponse de Marc Gendron, journaliste aux Coops de l’information a fusé: «Je peux vous dire qui a perdu: le journalisme canadien et les journalistes. Les gros joueurs ont bloqué l’accès aux nouvelles canadiennes sur Facebook (maintenant Meta), source à laquelle s’abreuvent, entre autres, les jeunes».
Pour Luce Julien, directrice générale de l’information à Radio-Canada, «il s’agit d’une perte nette irrécupérable et aussi d’une défaite car tout ce qui limite l’accès à l’information est malsain. Le trafic vers Radio-Canada via Facebook était d’environ 10% et plus important en région. Les citoyens ont compris qu’ils pouvaient aller sur les sites Web. Le revers positif est une hausse de fréquentation de 15%».
Selon Annick Charrette de la Fédération nationale des communications et de la culture, «le plus grand perdant c’est la démocratie par des barbares qui n’ont pas de principes de base».
De son côté, Alain Saulnier, journaliste à la retraite de Radio-Canada (prend-t-on vraiment sa retraite du journalisme?) et auteur de Les barbares numériques : résister à l’invasion des GAFAM, souligne que personne ne se préoccupait des géants du numérique et, qu’au contraire, les gens étaient fascinés par ces géants. Il constate que, «depuis cinq ans, il y a un vent de changement de la part des élus et de la population. Les États commencent à se coaliser et à faire des lois contre ces entreprises appartenant à des multimilliardaires».
À ses yeux, «Mathieu Lacombe, Ministre québécois de la Culture et des Communications de même que la Ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, font tous deux un travail extraordinaire». La ministre des finances, Mme Freeland a annoncé, en juillet, l’imposition d’une taxe de 3% aux GAFAM. Bien sûr, ils ont répliqué qu’ils allaient prendre des mesures coercitives contre le Canada.
Marc Gendron soutient qu’il faudrait enlever la manne publicitaire versée à ces compagnies. De son côté, Annick Charrette souligne que «nous sommes tous liés par des ententes de libre-échange. Nous avons regardé le modèle européen basé sur le droit d’auteur. Les Australiens, eux, cherchaient la négociation. Les GAFAM prennent notre contenu sans payer».
«Le fait que META ait bloqué notre contenu sur Facebook et Instagram, c’était violent! Il y a eu une baisse de revenus publicitaires à la télé et surtout dans les médias écrits. L’entente à 100 millions $, ce sont des peanuts et ça ne règle rien.», ajoute Luce Julien.
Alain Saulnier admet que «c’est une loi imparfaite mais que c’est un premier pas. Il faut s’en réjouir car le reste est à suivre et il faut y travailler». Pour sa part, il ne pense pas que les gens soient moins informés.
Il fait valoir que 63% des sites internet sont en anglais et seulement 3% en français. «Avec ça, on est en train de marginaliser le français. Faut réhabiliter le rôle de l’État dans nos sociétés. C’est la meilleure façon de protéger notre culture». Annick Charrette souligne que la défection des revenus a fait en sorte qu’en 2023, 1 200 personnes ont perdu leur emploi dans le secteur des médias. Elle ajoute aussi que «les journalistes sont dédiés à la tâche, pas tous bien rémunérés et que certains finissent par s’épuiser».
De son côté, Éric-Pierre Champagne journaliste à La Presse et actuel président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, clame avec conviction «qu’il faut continuer la bataille anti-META pour faire une différence car ce sont des voyous qui font de l’intimidation. Soyons solidaires car à qui profite le crime?».
Pour Alain Saulnier, le CRTC a un rôle à jouer. Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias et professeure, abonde dans le même sens. «Le CRTC doit mettre en branle C-11 et C-18 surtout qu’un nouveau gouvernement risque de définancer Radio-Canada».
L’innovation et la créativité découlent souvent de situations de survie et de besoins clairement identifiés pour y remédier, tels, les journalistes de La Presse conscients que les citoyens naviguent, de façon différente, dans la mer d’informations et que, de plus, certains lecteurs choisissent de s’en désintéresser car ils peinent à suivre logiquement l’actualité. Ceux-ci ajouteront donc davantage de contextes à leurs textes afin de répondre encore mieux aux besoins des lecteurs et, idéalement, de les fidéliser davantage.