À Montréal, et comme dans le reste de l’Amérique du Nord, le pourboire est une pratique profondément ancrée dans la culture. Cette norme sociale dicte qu’un client laisse une somme d’argent en échange de services variés, que ce soit au restaurant, au bar, chez le coiffeur ou même maintenant dans certaines boulangeries.
 
Avec l’inflation, la facture moyenne a explosé et cette coutume suscite de plus en plus de débats et de critiques, à la fois pour ses implications économiques et sociales.

 

Le pourboire est défini comme un montant remis volontairement par un client pour un service reçu. Ce geste de politesse serait apparu en Europe dans les années 1500. Les riches avaient alors pris l’habitude d’offrir un petit montant d’argent aux personnes qui les servaient « pour boire ». Au 18ᵉ siècle, en Grande-Bretagne, un aubergiste avait installé un pot sur son comptoir avec la mention « To Insure Promptness » (« pour assurer la rapidité »). L’acronyme « TIP » est né.

 

À Montréal, il est devenu quasi obligatoire, même s’il reste officiellement à la discrétion du client. Contrairement à l’Europe, où le pourboire est souvent une récompense pour un service exceptionnel et se limite à quelques piécettes trouvées au fond du porte-monnaie, à Montréal, les pourboires sont plus standardisés et plus élevés. On s’attend généralement à un pourcentage de 15 à 20 % de l’addition, une norme qui a grimpé au fil des ans, notamment depuis la pandémie, dépassant souvent les 20 %.

 

Un certain ras-le-bol

 

Cette augmentation des pourboires, conjuguée à l’inflation des prix des services, commence à peser lourdement sur les consommateurs. De nombreux Montréalais choisissent désormais de consommer différemment, préférant s’organiser des pique-niques dans les parcs ou cuisiner chez eux plutôt que de sortir.

 

La pratique du pourboire est perçue par certains comme une pression sociale. Donner du pourboire pour ne pas se sentir « cheap » ou par peur de se faire juger et être mal regardé. Particulièrement avec des pratiques comme le « tip shaming », le fait de faire honte aux clients qui ne laissent pas un pourboire jugé suffisant, parfois observé aux États-Unis.

 

De plus, autrefois réservé aux restaurants et aux services de livraison, un service long, le pourboire, est désormais sollicité dans de nombreux commerces, au comptoir, comme à l’achat d’un simple café, d’un pain frais ou d’une viennoiserie. C’est aujourd’hui répandue dans bien des endroits où « tiper » ne faisait pas partie de la culture. Certaines personnes se demandent s’il ne faudra pas bientôt laisser un pourboire au dépanneur, au supermarché, à la pharmacie, voire aux caisses automatiques.

 

Certains terminaux de paiement calculeraient même les pourcentages après taxes, ce qui est malhonnête envers le client. De plus, certains consommateurs ont aussi remarqué l’apparition d’émojis sur les bornes de paiement, jouant sur la psychologie humaine : smiley pas content pour 15%, satisfait pour 18%, heureux pour 20% et très heureux pour 25%.

 

Une pratique peu équitable

 

Le pourboire soulève également des questions d’équité et de justice sociale selon des experts. Les serveurs, dont les salaires sont techniquement plus bas que le salaire minimum, dépendent fortement de ces pourboires pour compenser leur manque à gagner. Autrement dit, ils perdent donc de l’agent quand ils n’en reçoivent pas. Le pourboire permet au client de montrer une certaine reconnaissance et de l’empathie aux salariés peu payés. Mais cela crée une disparité salariale et une insécurité financière, car les revenus des serveurs dépendent non seulement de l’affluence, mais aussi de la générosité des clients.

 

De plus, cette pratique peut entraîner des discriminations à l’embauche, certains employeurs privilégiant des employés susceptibles de générer plus de pourboires en raison de leur apparence physique ou de leur charme personnel. Les pourboires sont censés appartenir aux employés, mais ils sont souvent partagés entre le personnel, y compris les cuisiniers qui ont déjà un salaire plus élevé, ce qui dilue leur impact pour ceux qui sont en contact direct avec les clients. Le salaire pourboire fait généralement l’affaire de l’employé, finalement payé au-dessus du salaire minimum et … du patron qui donne une rémunération moindre à l’employé.

 

Vers un changement de paradigme

 

Face à ces critiques croissantes, certains établissements de Montréal commencent à repenser le système de rémunération. Certains restaurants ont supprimé les pourboires et ont pris la responsabilité de rémunérer de façon stable et équitable tous les employés, harmonisant ainsi les salaires entre le personnel de service et de cuisine.

 

Mais cette formule est difficile à mettre en place, car beaucoup d’employé refuserait de travailler pour un commerçant qui ne propose pas de tips, leur permettant une meilleure rémunération en fin de compte. Puis, cela oblige les établissements à afficher des prix plus élevés d’emblée, ce qui peut décourager la clientèle au premier abord.

 

Selon un sondage de l’Angus Reid Forum de 2023, environ 60 % des consommateurs préféreraient un modèle où tout est inclus dans le prix, à l’instar de ce qui se pratique en Europe, où les taxes et le service sont compris dans le prix affiché.

 

La culture du pourboire au Québec est remise en question. De nombreux clients sont lassés de la hausse exagérée des pourboires attendus, ce qui alourdit leur facture et gâche leur expérience. Les pourcentages élevés proposés sur les terminaux de paiement découragent même certains de laisser un pourboire, ce qui pénalise aussi les établissements.

 

Beaucoup souhaitent plus de transparence et de régulations au moment du paiement, réclamant des prix plus justes. Ils en ont assez de se sentir arnaqués, de payer 18$ pour un cocktail rempli de glaçons, ajouter 15% pour une bière sortie du réfrigérateur. La culture du pourboire est en pleine évolution et mérite d’être repensée. Consommateurs comme restaurateurs cherchent des alternatives bénéfiques pour tout le monde.

 

Journaliste : Valentin Garcia
 
Crédit photo : energepic.com

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Échos Montréal

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