Écrivain, chroniqueur et scénariste en constante effervescence, Simon Boulerice imagine la plupart de ses œuvres au cœur de Saint-Henri, le quartier qu’il habite depuis quinze ans. Amoureux fou de Montréal, le créateur en avait pourtant une image effrayante durant sa jeunesse.
Son enfance et son adolescence se sont entièrement déroulées à Saint-Rémi, une municipalité de la Montérégie qui lui semblait bien loin de la métropole. «Montréal m’apparaissait inaccessible. Dans ma tête d’enfant et d’ado sans permis, qui ne pouvait pas se véhiculer, il n’y avait pas de possibilité d’y aller. Je voyais la ville comme quelque chose de surnaturel et d’important. Je suis allé à peine trois ou quatre fois.» Juste assez pour sentir qu’il devait y vivre le plus tôt possible. «À seize ans, j’ai dit à l’orienteur que j’aimerais idéalement étudier à Montréal dans le cégep le plus artistique possible: j’étais tiraillé entre l’écriture, le théâtre, la danse et la musique. Je me suis alors inscrit en Arts et Lettres à Saint-Laurent.»
Chambreur chez une vieille dame tout près du cégep, Simon Boulerice a graduellement apprivoisé le multi-culturalisme du quartier. «Pour moi qui venais de Saint-Rémi, c’était un peu déstabilisant, mais ça m’a séduit: en termes de nourriture, il y avait de tout et je me suis ouvert au niveau des papilles gustatives.» Ainsi, la peur qui l’habitait face à la grande ville s’est évanouie. «J’ai le sentiment que ma curiosité au secondaire était freinée par des peurs ridicules et j’ai réalisé à quel point Montréal était une ville accessible pas du tout épeurante. C’est une ville imparfaite, un peu tout croche, à la fois très belle et très laide, qui est super accueillante.»
L’année suivante, il a vécu dans son premier appartement à quelques pas de la station de métro Du Collège. «J’étais à trente minutes de Berri-UQÀM. J’allais constamment au théâtre. Je découvrais les friperies. J’apprenais à identifier mon style. Ma vie culturelle se déployait.» Pas surprenant que la proximité d’une station ait été son critère numéro un quand est venu le temps de se rapprocher de l’UQÀM où il a poursuivi ses études. «Avec mes deux cousines, Ève et Édith Patenaude, nous avons trouvé un appartement à côté du métro Joliette, au coin des rues D’Orléans et Hochelaga. C’était immense! On était tellement bien là-bas.»
Son bien-être était si fort qu’il a choisi de rester au même endroit, même en entreprenant des études en jeu au Cégep de Sainte-Thérèse. «Chaque matin, j’avais un lift au métro Jean-Talon à 7h00. Je me levais tellement tôt! Je prenais la ligne verte et la ligne orange, avant de rouler jusqu’à l’école. J’étais tout le temps fatigué.» Après un an de ce régime, il a déménagé près du cégep, mais sans aucun plaisir. «Ce n’était pas de belles années. Je m’ennuyais terriblement de Montréal.» Ses parents l’ont en partie sauvé de son marasme. «Comme ils s’ennuyaient de ma sœur et moi, ils ont acheté un triplex à Montréal. À l’époque, je n’étais pas fervent de cette année, car je jouissais d’une grande autonomie et j’avais peur de régresser.» Il s’est néanmoins rallié au projet. «J’aimais l’idée d’avoir un pied à terre à Montréal durant ma dernière année. Tous les jeudis soirs, je quittais Sainte-Thérèse, je restais dans la chambre chez mes parents et je faisais de la figuration dans le téléroman Virginie. C’était une forme de transition.»
Son grand retour sur l’île a eu lieu après ses études en 2007, lorsque les logements du triplex familial se sont libérés. Depuis, il chérit sa vie à Saint-Henri. «J’aime l’histoire de ce quartier historiquement très pauvre collé sur Westmount. En quinze ans, j’ai assisté à une métamorphose totale du quartier. À mon arrivée, ça coûtait vraiment moins cher de vivre ici. Il y avait une plus grande diversité au niveau des classes sociales.» Au cours des cinq dernières années, il a senti le coin changer. «Il y a beaucoup de jeunes bourgeois et d’anglophones. À mon gym, les cours de groupes sont toujours donnés en anglais dans un quartier jadis pure laine québécois.» En contrepartie, il a vu l’apparition de restaurants qu’il juge formidables et pris le temps de mieux savourer son secteur. «Avant la pandémie, je ne prenais pas assez possession de mon quartier. Je le marchais peu. J’étais tellement collé sur le métro que je sortais souvent. Peu à peu, j’ai découvert des restos, des boutiques et des rues que je ne connaissais pas. J’ai un nouveau regard sur mon quartier.»
Quand on lui demande de regarder vers le futur et d’imaginer des changements majeurs, il pense à deux choses : une plus grande mobilité qui pourrait passer par un ajout de lignes de tramways et une place toujours grandissante donnée à l’art urbain. «Chaque fois que je vois de nouvelles murales en hommage à de grands artistes, je trouve ça réjouissant. Par exemple, la murale de Beau Dommage au 6760 rue Saint-Vallier et le parc Gabrielle-Roy avec des phrases de l’écrivaine, je trouve que c’est une forme d’histoire intelligente et incarnée. Ce n’est pas juste la ville qui donne le nom d’une station de métro à n’importe qui n’ayant pas rapport avec l’endroit. Quand je vois des liens du genre entre une personne et un lieu, j’applaudis.»