On entre toujours gravement dans l’enceinte du marché Bonsecours à cette période de l’année. Après plus d’une décennie d’exposition, des références se fixent, des réflexes s’opèrent : pertinemment, on sait que les catastrophes humaines et naturelles monopoliseront le vaste espace, alors que celles-ci défraient continuellement la manchette des médias du monde. On sait aussi que ces photographies de presse grand format nous entraîneront au seuil de l’esthétisme et du réalisme, une contrée peu fréquentée où valsent des émotions souvent contradictoires. Pourtant, et malgré l’accoutumance, les puissants clichés ouvrent encore la voie à de nouvelles réflexions. Assortiment issu d’un concours au rayonnement mondial, le World Press Photo, qui fait escale à Montréal jusqu’au 30 septembre, offre de prendre la mesure de l’état du monde. Bon an mal an.

 

Aperçu des photos primées

La photographie de l’année (en couverture) est l’œuvre du Vénézuélien Ronaldo Schemidt. Pris à Caracas lors d’une manifestation contre le président Nicolas Maduro en mai 2017, le cliché d’une intensité extraordinairereprésente symboliquement ce « Venezuela qui brûle », dixit l’une des membres du jury chargé de la sélection, faisant allusion au conflit historique qui déchire le pays. L’angoisse instantanée que suscite la vue de l’homme en flammes, José Victor Salazar Balza, n’est certainement pas étrangère à cette crainte atavique qu’évoque le feu et sa propension destructrice. Une photographie marquante.

Titre : Liberté retrouvée dans l’eau, ©Anna Boyiazis

Parmi les clichés primés, l’assemblage produit par la photographe documentaire américaine Anna Boyiazis, deuxième prix dans la catégorie Société, expose les premières leçons de natation de jeunes tanzaniennes de Zanzibar, les femmes étant traditionnellement interdites de baignade dans cet archipel de l’océan Indien. Intitulée Trouver la liberté dans l’eau, la série de photos d’une grande sobriété témoigne de l’épanouissement d’individus relégués à la périphérie d’un système patriarcal musulman bien enraciné.

Titre : La bataille de Mossoul : file d’attente lors d’une distribution de nourriture, ©Ivor Prickett, pour The New York Times

Dans la catégorie Nouvelles générales, le travail du photographe irlandais Ivor Prickett obtient le premier prix. La bataille de Mossoul est une rétrospective coup-de-poing des affrontements armés entre les combattants de l’organisation État islamique et les militaires irakiens en juillet 2017. Avertissement : certaines scènes sont d’une extrême violence.

 

Au-delà des récompenses

D’aucuns réaliseront rapidement que le concours et les gratifications ne sont que prétexte pour s’attaquer à une tâche autrement plus importante : dévoiler ce monde cru et complexe dont la compréhension semble de plus en plus nous échapper. En cette ère médiatique hyperactive où chaque nouvelle en relègue instantanément une autre, l’exposition agit comme un remède. Devant l’image saisissante, silencieux et traînant, on accoste totalement ces réflexions laissées en plan, enfin extrait de la frénésie numérique ambiante. La posture nouvelle est, ultimement, une fronde au présentisme. Mais peut-on réellement s’en plaindre ?

 

Crédit photo bannière : Ronaldo Schemidt, Agence France-Presse, Titre : Crise au Venezuela

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Échos Montréal

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