En consacrant une exposition à Serge Chapleau, le Musée McCord met en lumière cinq décennies d’actualité et de culture populaire passées dans le tordeur. Jusqu’au 7 mars 2021, les visiteurs pourront découvrir 150 des meilleures œuvres de l’artiste, ses origines, son parcours, les coulisses de l’émission Gérard D. Laflaque et son point de vue sur le monde.

© Laura Dumitriu_Musée McCord Museum

En quoi l’exposition se démarque-t-elle des rétrospectives annuelles dans vos livres?

L’exposition raconte toute ma carrière, depuis ma naissance jusqu’à maintenant. Dans mon métier, on dit souvent: «Les politiciens passent, les caricaturistes restent.» J’ai été témoin de plusieurs gouvernements au Québec, au Canada et aux États-Unis. L’exposition permet donc aussi de replonger dans toutes ces époques.

Vous dites avoir vécu une enfance dans une maisonnée semblable à celle du film Léolo, mais sans la poésie. Le dessin était-il un moyen d’ajouter de la couleur et de la fantaisie dans votre vie?

L’humour et le dessin m’ont permis de passer à travers la vie sans vouloir me lancer en bas du 2e étage… À 16 ans, au secondaire, j’étais grand, très maigre, je ne pognais pas beaucoup. J’étais solitaire. Quand je suis arrivé à l’École des Beaux-arts, j’ai vécu un moment de pur bonheur! En quelques semaines, j’ai découvert qu’il y avait autre chose dans la vie. C’était un milieu multiculturel, ouvert et progressiste. J’ai compris qu’on pouvait s’amuser et faire les choses différemment.

S. Chapleau, Céline Dion, La Presse, 25 octobre 2003. M2005.166.152.2 © Musée McCord

S. Chapleau, Justin Trudeau, La Presse, 13 janvier 2007. M2009.52.423.1 © Musée McCord

À la blague, vous expliquez que la caricature consiste à «faire des petits bonhommes». N’est-ce pas un peu réducteur pour votre travail?

Je pense qu’il ne faut pas trop se prendre au sérieux dans la vie… ce que font plusieurs artistes. Je crois avoir raison en quelque part de dire que je fais des petits bonhommes, mais je dis aussi que je suis très privilégié de faire ça. Les artistes qui réussissent à faire ce qu’ils aiment et à gagner leur vie devraient remercier le ciel tous les jours. Il faut laisser tomber la prétention.

À quelques reprises dans l’exposition, on voit des auto-portraits de vous avec différentes armes façonnées à partir d’un crayon. Pourquoi ces symboles représentent bien votre métier?

La caricature doit se pratiquer avec la précision un chirurgien et l’intention d’un boucher. Le caricaturiste est là pour provoquer. On est les fous du roi, mais il ne faut jamais oublier à quoi ressemblaient leurs vies. S’ils faisaient rire le roi, ça se passait très bien, sinon, on leur coupait la tête! Ce n’était pas une job très sécure. C’est la même chose pour la caricature. Quand on fait un dessin, on se rend au bord du précipice. Si on fait un pas de plus, on tombe. Il faut apprendre à garder l’équilibre. C’est très difficile, mais ça fait partie de la job.

Pourquoi pratiquez-vous le dessin avec les outils traditionnels et les moyens technologiques?

J’avais une grande curiosité en voyant arriver l’ordinateur et Photoshop. Présentement, je travaille sur un écran Wacken de 27 pouces avec un crayon qui reproduit à 90% le sentiment que donne un crayon à mine. Je travaille encore avec mon crayon et mon papier, avant de scanner ma caricature, mais je vais de plus en plus sur l’écran. Je trouve ça fantastique. Je ne veux pas m’arrêter à une seule façon de faire.

S. Chapleau, Kim Jong‐un et Donald Trump, La Presse, 13 juin 2018. M2019.48.293 © Musée McCord

Sous une caricature où vous évoquez la vie sexuelle de Bill Clinton, on apprend que l’œuvre avait été bien reçue au Québec, mais qu’elle avait choqué certaines personnes qui l’avaient vu États-Unis. Auriez-vous été un caricaturiste heureux chez nos voisins du Sud?

À la base, un caricaturiste doit s’adapter. Si je vais voir mon boss à La Presse et qu’il ne veut pas publier ma caricature, j’ai deux choix: faire une crise, lâcher ma job, avoir mes 15 minutes de gloire et tout perdre. Ou trouver une façon différente de faire passer mon idée. Je dessine la bêtise humaine et les politiciens qui font des gaffes : c’est ma responsabilité de trouver une façon de faire passer mon message. De toutes façons, avec les réseaux sociaux, je reçois tous les matins des courriels de personnes qui veulent «m’assassiner» pour ce que je fais. Ça me donne un petit boost pour continuer.

S. Chapleau, Valérie Plante, La Presse, 7 novembre 2017. M2019.48.182 © Musée McCord

Allez-vous plus loin avec les politiciens qu’avec les artistes, les sportifs et les autres personnalités publiques?

J’ai fait plus de 400 caricatures d’artistes. Généralement, ils se trouvent beaux, fins et smattes, alors si je leur fais un grand nez, de grosses oreilles et un drôle de regard, ils n’aiment pas ça. Pourtant, le public adore! À l’inverse, les politiciens ne sont pas là en raison de leur allure. Si je dessine Gaétan Barrette en grosse boule qui démolit une bâtisse, il comprend très bien ce que je fais. Évidemment, ça doit les toucher, mais avec le temps, ils s’habituent. Je reçois moins de réactions des politiciens.

Quelles qualités sont nécessaires pour devenir un bon caricaturiste?

Contrairement au journalisme, il n’y a pas d’école pour devenir caricaturiste. C’est un accident de parcours. Je pense qu’il faut avoir un bon coup de crayon, du style, être maniaque d’informations, aimer suivre les événements de l’actualité, avoir un très bon sens de l’humour et, surtout, de la régularité. Tout le monde peut faire une bonne caricature dans sa vie, mais répéter l’exercice à tous les jours, c’est une autre paire de manches.

Bannière principale: © Laura Dumitriu_Musée McCord Museum

À propos de l'auteur

Samuel Larochelle

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