Qu’on le dise à la fois radical et pragmatique témoigne de la nuance du propos. Et de l’être. Figure de proue du mouvement écologiste pendant plus d’une décennie, Steven Guilbeault porte désormais les chapeaux de député de Laurier – Sainte-Marie et de ministre du Patrimoine canadien. Celui qui a d’abord emprunté la voie militante s’est glissé naturellement dans ce véhicule qu’est la politique. Une corde de plus à son arc, tendue vers une cible qui elle, demeure la même: ériger un monde meilleur. Échos s’est entretenu avec le ministre, présentement aux premières loges de la pandémie mondiale de COVID-19.

Dans un premier temps, comment se déroule votre confinement ?

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Ça se déroule bien. Je dois encore aller à Ottawa de temps en temps. Le Parlement siège encore en personne, une fois par semaine, avec seulement une partie des députés, à peu près 10% de la députation totale. De façon générale, ce sont les députés qui sont le plus près possible d’Ottawa. Même chose pour les ministres. J’ai fait aussi quelques conférences de presse avec d’autres ministres. Alors, je suis confiné, mais je sors un peu quand même dans le cadre de mes fonctions.

Le secteur de la culture est sévèrement affecté par la pandémie. Les artistes et le milieu du sport, aussi. En tant que ministre du Patrimoine canadien, responsable de ces secteurs, vous venez toute juste d’annoncer un fonds d’urgence de 500 millions de dollars afin que ceux-ci puissent traverser la crise. Comment entrevoyez-vous l’avenir?

C’est difficile de revoir une reprise, un retour à la normale avant le début de 2021. À moins de changements importants, on n’aura pas de vaccin d’ici la fin de l’année, ce qui veut donc dire que ça va être difficile de recommencer à pratiquer des activités qu’on faisait sans y penser, comme aller voir un concert de 500, voire 5000 personnes, aller voir une équipe de hockey, ou même jouer dans une ligue de garage. Avec d’autres, comme le tourisme, l’hôtellerie, ce sont probablement les derniers secteurs qui vont pouvoir retrouver un semblant de normalité. Le gouvernement fédéral, et moi en tant que ministre du Patrimoine canadien, on a annoncé un certain nombre de mesures pour aider ces secteurs à traverser la crise, mais on est bien conscient qu’il va falloir faire plus, qu’il faudra être là même quand on aura fini de traverser la première vague de la pandémie et qu’on sera en déconfinement progressif.

À quel point la crise vient-elle chambouler votre vision des choses, et plus spécifiquement la perspective de votre engagement politique?

C’est effectivement la crise, si elle n’est pas sans précédent, la plus importante que nous ayons traversé en tant qu’espèce depuis une centaine d’années. Ça a chamboulé mon plan de match en tant que ministre et les choses que je voulais faire mais bon, on s’adapte. Au jour le jour, les efforts du gouvernement sont sur comment on aide le plus de gens à s’en sortir, comment on fait en sorte d’aplatir la courbe, mais on sait qu’il va y avoir un après-crise. Je pense que ce que cette crise-là nous a montré, c’est qu’il est peut-être temps de revoir un certain nombre de choses qu’on avait un peu prises pour acquis, des choses par rapport auxquelles on ne se posait plus trop de questions.

Le premier ministre Trudeau vous a récemment confié le mandat (deux autres ministres sont aussi impliqués) de mettre sur pied un plan de relance économique «vert», plan qui sera enclenché à la sortie de la crise. Cet arrêt forcé, qui permet d’entrevoir un avenir moins pollué et plus sain, était-il nécessaire pour que s’intègre l’idée de la transition écologique? Autrement dit, la présente pandémie pourrait-elle être la planche de salut de la cause environnementale?

Ça dépend de ce qu’on va en faire. On peut très bien voir un ou des scénarios où on retombe très vite dans nos bonnes vieilles habitudes, et on se met à consommer et voyager comme on le faisait, pas trop se préoccuper d’où provient notre nourriture, la chaîne d’approvisionnement des équipements médicaux. Ou on dit, peut-être qu’il y a bien de bonnes choses dans la société, mais il y a peut-être à améliorer. Si on demandait à la plupart des Canadiens et des Canadiennes s’ils pensent qu’on a un bon filet social au Canada, je n’ai pas de sondages sous les yeux, mais je soupçonne que la très grande majorité des gens dirait oui. Et pourtant, la crise a frappé tellement durement et rapidement qu’on a dû créer de toutes pièces des mécanismes, comme la prestation canadienne d’urgence, qui n’existait pas il y a 8 semaines.
Mais je pense que maintenant, c’est le moment de repenser un certain nombre de choses. On voit des reportages de gens qui disent «on entend des oiseaux qu’on ne voyait plus en ville, la qualité de l’air est tellement intéressante, il y a moins de trafic dans les rues», peut-être qu’il y a des gens qui vont prendre conscience de ce que plusieurs d’entre nous militants et militantes parlons depuis longtemps, c’est-à-dire à quoi pourrait ressembler un monde différent, un autre monde.

Évidemment, ceux comme moi qui avons milité depuis longtemps, on voudrait qu’il y ait un équilibre. Parce que, pourquoi est-ce qu’il y a une meilleure qualité de l’air et moins de pollution, qu’on entend les oiseaux et qu’il y a moins de trafic? C’est parce que tout est arrêté et qu’il y a des gens qui souffrent énormément à travers ça. Alors est-ce qu’on peut garder une très bonne qualité de vie sans toute la souffrance qui vient avec la maladie? C’est ce genre de questions qu’on devrait se poser, qu’on soit citoyen, gouvernement du Canada ou du Québec, ou la ville de Montréal.

Êtes-vous optimiste vis-à-vis de ces perspectives d’un monde plus sain, moins pollué, où on est plus attentif à notre environnement naturel?

Quelqu’un m’a déjà décrit comme un radical pragmatique, dans le sens où certains des changements de société que je prône depuis très longtemps sont passablement radicaux, mais que je suis aussi très conscient que le changement social ne se fait pas en criant ciseau. Les changements de mentalité et les changements technologiques, ce sont des choses à grande échelle qui peuvent prendre du temps. Je lisais dernièrement une étude publiée par plusieurs experts en économie dont Joseph Stiglitz (Nobel d’économie). Ils ont consulté des dirigeants du G20, et à peu près 75% de ces dirigeants-là estiment que la relance doit être l’occasion de faire mieux, notamment au point de vue environnemental et sur les gaz à effet de serre. J’ajouterais qu’on doit mieux faire au point de vue social. Il y a des choses à revoir à ce niveau-là, et peut-être qu’une fois qu’on aura sorti la tête de l’eau, ce sera le moment de commencer à regarder ça.

Dans une entrevue que vous aviez accordée en 2007, vous dites que votre engagement écologique est guidé par la quête d’un monde meilleur. Cette quête est-elle aussi à la base de votre engagement politique?

Absolument. Je ne pense pas que les ONG sont la seule porte de sortie, pas plus que les gouvernements ou l’entreprise. Ultimement, ce sont des choix personnels, il n’y a pas nécessairement un meilleur véhicule qu’un autre. Pendant 25 ans, j’ai milité dans les organisations environnementales et communautaires et je pense avoir contribué à mon échelle à faire améliorer les choses. J’ai décidé, il y a presque un an, de me lancer en politique pour poursuivre ce combat-là de travailler à bâtir un monde meilleur. J’ai rencontré plein de gens très progressistes, qui ont à cœur l’idée de bâtir une société meilleure, plus verte, plus égalitaire. Ces gens-là, il y en a chez les Libéraux et dans d’autres formations politiques, des gens avec qui je m’entends très bien, avec qui j’ai plein d’atomes crochus et avec qui je suis capable de travailler et de faire avancer les choses. C’est ce que je suis venu faire en politique, et que je veux continuer de faire dans les prochaines années.

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Échos Montréal

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